Deuxième film de David Oelhoffen, qu'il a lui-même écrit en adaptant librement la nouvelle L'Hôte d'Albert Camus. Pourquoi librement ? Car le film prend pas mal de liberté sur la nouvelle de Camus mais arrive quand même à en garder l'esprit et l'essence tout en correspondant aux thématiques de son auteur. Parce qu'ici Oelhoffen confirme qu'il à des thèmes et des intentions d'auteur qu'il compte bien explorer dans sa carrière et en ça le film correspond dans l'esprit à son premier long métrage, assez moyen, Nos retrouvailles. Pour le scénario on explore donc les thèmes d'Oelhoffen, à savoir les liens qui unissent les hommes et qui font qu'ils s'apprécient. Car dans son premier film on suivait les retrouvailles d'un père absent avec son fils où au détour d'une situation dangereuse ils apprenaient à se connaitre, à se pardonner et à s'aimer. Ici c'est la même chose mais au lieu d'explorer une relation père-fils, il s'intéressera à une amitié qui se construit malgré les différences. Oelhoffen est quelqu'un qui s'intéresse à ce qui rapproche plutôt qu'a ce qui divise comme l'amour, les joies de la vie ici illustré ici par le sexe, la compassion et la solidarité face à une situation périlleuse, ce qui fait indéniablement écho avec les tragiques événements récents. Placer cette amitié naissante dans une situation géopolitique et historique grave, la guerre d'Algérie, est vraiment pertinent car cela permet de servir un propos humaniste que malgré les différences culturelles et la guerre entre deux peuples, l'entente et la compréhension sont toujours possible. Les deux personnages sont en cela vraiment intéressant car ils ne prennent jamais de parti, ils sont isolés au milieu de cette guerre qui les dépassent et doivent géré leurs problèmes personnelles, ils essayent de rester maîtres de leurs vies et de leurs décisions mais l'histoire qui est en train de s'écrire autour d'eux les obligent à prendre position. L'un est un homme droit, peu être même trop droit car certaines de ses réactions sont trop didactiques ou compréhensives, il est parfois trop moralisateur et humain ce qui fait qu'il semble parfois déconnecté du reste, le rendre plus ambivalent aurait été plus judicieux même si on en éprouve que plus d'empathie pour lui comme cela mais il fait moins réel. Ses origines à lui sont plus troubles rendant sa neutralité psychologique plus pertinente et intéressante à explorer. L'autre à une psychologie moins développé mais pour autant plus poussé, son destin est relativement tragique et lorsque que l'on apprend son histoire, le personnage n'en devient que plus noble. Il n'est pas maître de sa vie étant dicté par des lois et des principes sectaires et décide donc de prendre non pas sa vie mais sa mort en mains, donnant un propos touchant sur la notion de sacrifice. Ce sont donc deux êtres nobles et justes qui nous sont présenté et leur amitié est traité de façon naturelle et cohérente laissant même parfois place à un humour bienvenu. Néanmoins même si le propos humaniste et existentialiste est pertinent et que l'amitié plutôt bien traité, le scénario possède des défauts comme le faite que le contexte du film ne sert au final que de toile de fond, cela aurait pu être n'importe quel autre conflit l'histoire aurait fonctionné de la même façon, ou encore que le style épuré du scénario handicap la narration en passant sous silence des thèmes qui aurait pu être intéressant ou du faite que les situations ont tendances à ce répétées. Le film suit donc un schéma linéaire qui devient vite répétitif, les personnages marchent, une péripétie leur tombent dessus, ils se remettent en route puis une autre péripétie et etc. Cela donne un aspect trop segmenté au film qui fini à la longue par toujours répéter les mêmes choses ou faire de la digression, en ça la scène dans le bordel, particulièrement la partie qui concerne Daru, n'était pas nécessaire au récit. Sinon le film se rattrape dans une conclusion très juste et très poignante qui expose à merveille toute la noblesse des personnages et la tragédie de leurs histoires. Le casting est sinon prodigieux, tout les acteurs offrent des partitions sans fausses notes qu'ils soient secondaires ou non. Même si il est clair que toute les attentions se portent sur le duo principal avec Reda Kateb qui est encore une fois parfait, apportant le supplément d'âme dont lui seul a le secret à son interprétation juste et dans la retenue mais qui fait passer à merveille les émotions. Il arrive à ne pas ce faire éclipser par un Viggo Mortensen encore une fois impressionnant de par son charisme et la justesse de son jeu. Il utilise une vaste palette d'émotion sans en faire trop et fait un travail impressionnant avec sa voix. Kateb aussi n'est pas en reste de ce côté là, devant travailler son arabe et son accent, qui m'a semblé parfait dans le film, mais le travail de Mortensen sur ce point est faramineux devant travailler le français, l'arabe ainsi que l'espagnol. Le pire c'est qu'il arrive à exceller dans les trois langues, ce qui souligne une discipline de fer et là je dis chapeau. Pour la réalisation, celle-ci dispose d'une photographie sublime qui magnifie les somptueux décors de l'Atlas algérien, un montage classique mais efficace ainsi que d'une BO composée par Nick Cave et Warren Ellis qui est vraiment géniale, accompagnant le film à merveille et s'inscrivant dans les belles compositions de western. Car oui la mise en scène de David Oelhoffen est celle d'un western existentialiste. La composition des plans, l’enchaînement des situations, les mouvements de caméra, etc tout cela rappelle les classiques du western notamment l'époque de John Ford. On retrouve l'assaut à cheval sur une place forte, ici symbolisé par une place forte, mis en scène avec force et maîtrise, probablement la meilleure scène du film, on retrouve l'habituel duel de tout western ainsi que la prise d'un camp indien par les cowboys, ici symbolisé par un groupe de "rebelles" algériens pris au piège dans une grotte par l'armée française, probablement la deuxième meilleure scène du film de par sa mise en scène brutale et impressionnante. En conclusion Loin des hommes est un film sympathique mais pas pleinement satisfaisant. Son propos est fort et touchant, son histoire est belle mais sa construction est répétitive tirant un peu en longueurs sur la fin à cause de digressions inutiles et de rabâchages qui peut créer un certain ennui. Néanmoins la mise en scène est très maîtrisé et le casting est parfait mais j'aurais aimé l'ensemble moins didactique et plus humain car à force d'être trop moralisateur, le film perd l'efficacité des émotions. Mais en ce début d'année cinématographique assez timide qui n'est pas enclin aux bons films, Loin des hommes s'impose comme le meilleur jusqu'à présent même si il n'est pas complètement bon.