S.Leone nous a si souvent fait kiffer le western spaghetti que je ne résiste pas à la tentation d'un clin d'oeil d'amateur pour qualifier cette toile en inventant la catégorie "western couscous". Laissez-vous tenter, c'est nouveau, ça vient de sortir !
David Oelhoffen est français, malgré ce que pourrait laisser supposer son patronyme. En lisant deux trois trucs d'internet sur lui, j'ai d'ailleurs découvert qu'il avait co-écrit le scénario de SK1, que j'ai bien aimé.
Oelhoffen, donc, s'est senti accroché par la lecture d'une courte nouvelle ("L'hôte") dont l'auteur est pour le moins crédible sur la question algérienne, puisqu'il s'agit d'Albert Camus, mais si mais si.
Ca fait beaucoup de bonnes références, et pour la distribution aussi y a du beau monde dans les deux rôles principaux : Viggo Mortensen que j'ai tant aimé dans "La route" et Reda Kateb qu'on a vu récemment en toubib convaincant dans "Hippocrate".
Comment voulez-vous après ça que le film soit une daube ? Et de fait, c'est loin d'en être une !
Au fin fond de l'Atlas algérien en 1954, Daru est un colon français, instituteur solitaire épris de sa mission pédagogique dans son école bâtie au milieu de nulle part, perdue dans un paysage lunaire de monts rocheux et de cailloux. Il se voit obligé de convoyer vers la ville la plus proche un prisonnier coupable d'homicide, Mohamed, pour qu'il y soit jugé. Il faut marcher une journée sur une piste montagneuse. Gare aux mauvaises rencontres : le soulèvement populaire a commencé, les fellagahs ont pris les armes et le maquis. Les doigts ont tendance à être un peu nerveux sur la gâchette, en ces temps troublés.
Commence donc un long cheminement qui sera pour les deux hommes l'occasion de chercher à se connaître, et dans la confrontation avec le danger de se révéler aussi dignes d'estime l'un que l'autre.
C'est un film magnifique, contemplatif selon moi malgré les scènes d'action crûment filmées. Et c'est l'âme humaine qu'il contemple et donne à contempler, en plus des grandioses paysages du rude Atlas. Par delà la notion de race, l'âme humaine, ses pulsions et ses aspirations essentielles : instinct de survie, soumission à des lois, sens de l'honneur, désir brut, que sais-je encore...
Un seul bémol, puisqu'il est question de désir : comme dans certains (je dis bien certains) des meilleurs westerns, c'est une histoire d'hommes et les femmes ont peu leur part à dénouer dans le fil du film. Ici elles ne sont pas présentées sous leur meilleur jour, loin s'en faut ! Si Camus les avait mises dans le rôle qu'elle tiennent ici, ça n'aurait pas fait de lui un grand féministe, je dirais. J'ai d'ailleurs relu "L'exil et le royaume", pour en avoir le coeur net. La nouvelle "L'hôte" y tient une place discrète du fait de sa brièveté mais c'est une de mes préférées. Or, j'ai eu beau chercher, Camus n'y a mis aucun personnage féminin...
A bien y réfléchir, les développements ajoutés par Oelhoffen et son équipe au scénario, par rapport à la trame très simple de cette nouvelle minimaliste, qui se termine dans le livre quasiment où elle commence dans le film, sont tous assez bien vus à mon sens. Sauf peut-être précisément cette courte intervention de quelques femmes dans le film. Enfin ce n'est que mon avis d'admirateur de Camus. Je laisse chacun juger sans en dire plus ...
Quant aux acteurs, si l'étrange accent de Mortensen quand il parle français peut surprendre au début malgré sa discrétion, on l'oublie vite tellement il colle à son personnage, irradiant son magnétisme habituel sans aucune fausse note. Reda Kateb lui aussi s'affirme comme un tout bon, beaucoup plus qu'un faire-valoir en face de son aîné. C'est du lourd, ces gonzes.
Chapeau bas, respect et toute cette sorte de choses.