Après le tendre « Zathura », son succès puis sa chute à Hollywood et une sérieuse remise en question Jon Favreau fait le point sur sa carrière, ses passions et sur les hommes derrière leurs fourneaux. Tout n’est pas si rose, quand bien même le monde regorge de saveurs et de subtilités. Le réalisateur utilise donc l’analogie de la restauration afin de dénoncer un système qui centralise le talent et le standardise dans un « fast-food service ». Difficile de ne pas le voir, mais impossible de rester indifférent dans ce road-trip culinaire et qui nous rappelle ô combien l’authenticité reste la valeur la plus sûre, celle que tout public cherche pour s’y retrancher. Et cette part de nostalgie s’inscrit parfaitement dans un récit, sans doute trop linéaire et simpliste, mais cela constitue une bonne synthèse entre l’expérience cinématographique d’un cinéaste qui retrouve son indépendance et le street food qui nous rapproche les uns des autres, dans la bonne humeur.
La volonté est farouche et elle doit trouver sa place dans un milieu de requins et de réceptions critiques encore plus blessante. Favreau appel au calme, mais n’oublie pas néanmoins son caractère nuisible pour ses employeurs, son public et son cercle intime. Sa vie se reflète si bien dans les ustensiles qu’il utilise que les noms des personnages en deviennent secondaires, voire abstraits. Les acteurs reprennent le devant de la scène et tout leur appartient le temps d’une recette imparfaite, cynique et frontale. On confronte d’abord des idéologies incompatibles dans la dynamique d’un business qui rime avec la surconsommation. Les paroles font mouche, mais on pourra lui reprocher un manque de subtilité dans tout ce qui touche aux réseaux sociaux. Il faudra toutefois considérer un point de rupture entre cette tendance qui dématérialise les critiques en tout genre et cette interaction qui se perd entre les fans et leurs idoles. On montre également un brin d’absurdité dans cette démarche qui vise davantage à promouvoir pour divertir son entourage plutôt qu’à encourager un certain effort, comme quoi la technologie n’est pas toujours source de fiabilité lorsqu’on en perd le contrôle.
Et pour revenir sens du goût, Favreau nous embarque avec un profond respect pour la gastronomie et son milieu qui partage bien des similitudes avec le cinéma. Scarlett Johansson témoigne d’ailleurs de l’attrait culinaire, en posant sur le grill d’un réalisateur qui cuisine ses films avec sincérité et une qualité qu’on ne peut lui estoquer. D’autres personnalités s’investissent également, comme Dustin Hoffman l’ambassadeur du système rigide, Oliver Platt dans la peau d’un critique professionnel et Robert Downey Jr. comme le tremplin vers la rédemption. Mais ce qu’il ne faut pas négliger, c’est bien évidemment le public cible, la jeunesse, ce nouveau client envers qui il faut susciter l’intérêt afin de redorer un blason, perdu aussi vite qu’on l’a remporté. Et c’est dans la relation père-fils qu’on explorera cette notion. Entre éducation et devoir paternel, il y a un juste milieu et ce milieu possède la forme et le goût d’un sandwich cubain. Au rythme d’une playlist qui rompt avec la routine, l’évasion n’est pas toujours bien mise en scène, mais regorge de bonnes idées. Le retour aux sources est une initiative qui plaît, mais qui s’éloigne presque trop de l’indulgence. Mais ce qu’on retiendra, c’est ce qu’on aura décidé d’apprécier, sans mauvaise langue, sans filtres.
« #Chef » est donc assaisonné de bonnes intentions et n’épargne personne dans son discours mélancolique. Et c’est à ce niveau qu’il faut savoir ouvrir les yeux et prendre le recul nécessaire afin de réévaluer toute la refonte d’un système, du concepteur au client, en passant par un produit douteux et qui n’est pas toujours aussi transparent qu’il n’y parait. Oui, le film éparpille un peu de matières grasses au passage, mais dans les mains d’un public salvateur, il existe encore de l’espoir. La quête d’une famille à reconstituer nous met sur toutes les bonnes pistes du succès et du bonheur, une recette symbolique et qui ne peut mesurer le poids des réseaux sociaux, nouveau fléau des producteurs, comme les artistes les plus sensibles. Entre « Le Festin de Babette » et « Sucré Salé », Favreau honore par son audace et séduit pour sa générosité, en nous illustrant que le bon vin, tout comme le cinéma, est à consommer avec modération.