Midnight Special pousse la sauce Jeff Nichols un peu trop loin…♥♥♥
Dès Shotgun Stories, on a senti un penchant territorial très fort chez Jeff Nichols. Ses fresques sociales étaient toujours bien campées dans un lieu défini et très circonscrit, nommément le sud des États-Unis. Ce choix narratif venait au final accentuer la fracture qui se produisait lorsque Nichols venait perturber l’ordre établi à l’aide d’un lieu ou d’un objet, qui amenait chez ses protagonistes (et par ricochet, le spectateur) une inquiétante étrangeté (l’abri de Take Shelter, le bateau de Mud). Son talent à jouer sur la ligne de la réalité dans une approche sociale, voir naturaliste, était ce qui faisait de ses films précédents (surtout Take Shelter) de grands films du cinéma américain contemporain. Midnight Special poursuit cette réflexion, mais a un niveau tout autre qui vient perturber l’équilibre savamment travaillé de son cinéma.
Pour en dire le minimum, disons que Nichols utilise cette fois un jeune garçon comme pivot d’étrangeté de son récit. Celui-ci dispose de pouvoirs paranormaux et son père, pour le protéger, le kidnappera de la communauté où il a été élevé. Il en résulte un road movie au suspense et revirements fantastiques haletants.
Plutôt que de faire valser son histoire autour d’un symbole à la dimension étrange, voire surréaliste, Nichols fait des pouvoirs paranormaux de l’enfant le centre du récit. Il n’y a pas de zone d’accalmie ou les personnages échappent à cette étrangeté pour revenir dans leur quotidien. Dès les premières minutes, nous sommes plongés en plein suspense. Le premier tiers du film est d’une efficacité exemplaire en ce sens. Nichols peaufine son approche et expose son talent en transmettant l’angoisse à toutes les sphères du récit. Un montage en parallèle entre les multiples histoires qui sont encore mystérieuses et inconnues du spectateur ne fait qu’accentuer les sentiments d’angoisse et d’anticipation.
Par contre, après avoir choisi d’entretenir savamment un flou sur les motivations de l’ensemble des protagonistes du récit, Nichols choisit malheureusement l’approche inverse. Rapidement, il viendra à se jeter dans une exposition beaucoup trop intense des motivations de tout un chacun et vient tuer le mystère qu’il avait pourtant mis en place de façon excellente. Comme s’il s’en rendait lui-même compte, des rebondissements lourds de sens viennent ponctuer le récit à des endroits mal choisis, comme pour forcer l’intérêt du spectateur .La finale, beaucoup trop évocatrice, qui se voudrait une reprise de Rencontres du Troisième Type, tombe plutôt à plat.
Reste néanmoins que Nichols a indéniablement du talent. Ses talents de plasticiens sont indéniables et celui de Julie Monroe au montage est sans faille. Il réussit toujours à sortir le meilleur de ses acteurs ; Michael Shannon, unidimensionnel, mais toujours excellent. Adam Driver, qui nous montre la variété dans la palette de son jeu. Et surtout, Kirsten Dunst, qu’on peine à reconnaître tant elle est transformée et naturelle. Par contre, Nichols doit se rappeler qu’il n’est ni Steven Spielberg, ni M. Night Shyamalan et rééquilibrer la dichotomie construite lors de ses précédentes oeuvres pour revenir dans le territoire où il excelle.