Sachant que Take Shelter est mon Jeff Nichols préféré et vu la similarité frappante entre celui-ci et Midnight Special (Michael Shannon en père protecteur face à la menace d'ordre paranormal qui pèse sur ses enfants), il est facile de mesurer à quel point son dernier film a pu me décevoir. La différence entre les deux œuvres du texan tient en un trait simple qui vient pourtant contaminer en profondeur tout Midnight Special tant il y prend d'importance : l'explicitation du paranormal et sa matérialisation. Attention, je ne proscrit surtout pas l'idée, le parti pris. Simplement, il faut bien avouer que son application est plutôt maladroite. Tout d'abord, parce que la retenue visuelle et l'ambiguïté que ménageait Take Shelter lui permettait de jouer sur la frontière entre le réel le paranormal de façon très naturelle. En revitalisant les interactions et les sentiments des personnages, par des doutes qu'on voyait s'insinuer dans un quotidien complètement tangible, restitué comme un bloc d'ordinaire d'où s'échappait à grand peine quelques gouttes de paranormal, le second film de Nichols s'offrait une grande proximité avec le public et allait ancrer son mystère bien plus loin dans la conscience du spectateur. Beaucoup plus assumé, le fantastique de Midnight Special ne peut fourbir les mêmes armes mais s'étale tout du long, comme au goutte-à-goutte, vers un final où il se déverse incontinent mais déjà dépossédé de sa capacité à émerveiller par des mises en tension ratées. Le procédé, pas aidé par des effets parfois un peu limite, est raccord avec la logique narrative du film, c'est vrai. Mais celle-ci, paresseuse, sinon amorphe, n'a en elle-même rien de bien inspirant, puisque qu'elle ressasse certains poncifs du cinéma de science-fiction américain sans donner à les voir avec un œil bien neuf. Réduits à accepter ses péripéties sans pouvoir peser sur le déroulement annoncé, ni en l'inversant ni en se fracassant contre lui, les personnages sont cantonnés au même registre tout du long et mis au service d'un final sanctifié, sur lequel repose tout l'édifice. Quitte à choisir cette logique de climax, il aurait fallu réussir la montée en puissance dans le fantastique et dans l'hallucination à côté de laquelle le film passe à mon sens complètement à côté. La faute revient notamment à une narration pas complètement fluide, très paralysée par une rhétorique clichée qui abuse de certains gimmicks du cinéma américain, et cherche parfois à trop entretenir le mystère par ses lignes de texte, quitte à ce que celles-ci sonnent mécaniques et désincarnées. L'effort de se lancer in medias res, très louable au demeurant, est une promesse non tenue de plus, tant l'énergie avec laquelle il met le film en orbite s'épuise pour laisser la place à un rythme convenu et à un cruel manque de profondeur. Jeff Nichols n'est sans doute pas, en fin de compte, le grand réalisateur qu'on pouvait espérer.