La côte de popularité impressionnante de Keanu Reeves, qu'on peut juger aujourd'hui proprement insupportable, tient à deux rôles concernant deux générations distinctes : les années 2000 avec Matrix, 2010 avec le nouveau modèle de tueur indestructible et brun ténébreux, le fameux John Wick. Si l'on ne présente plus le premier, le second aura eu le mérite de se pointer au milieu des sorties annuelles de plus en plus répétitives de blockbusters formatés et sans grande imagination, amenant dans son sillage un hommage craquant au cinéma d'action des années 70 à 90.
Clairement construit comme un plaisir coupable ne nécessitant strictement aucune réflexion, ce premier volet part d'un postulat simple : par manque de bol pour les mafieux russes, trois petits malfrats auront volé la voiture et tué le chien du plus grand tueur à gages de la ville (si ce n'est du pays, tant qu'on y est). Autre élément regrettable, le chien était l'ultime cadeau de sa femme décédée d'une lente agonie par une maladie qui la rongeait.
C'est stupide, simpliste et suffisamment honnête pour ne pas tenter de dissimuler de pseudos thématiques sociales dans son intrigue simplette : John Wick fait ce que l'on n'avait plus vu depuis longtemps, il nous livre un authentique film bourrin qui n'a pas pour vocation de se moquer de son public, seulement de lui proposer un divertissement savoureux bien conscient de sa condition de série b qui ne marquera pas l'histoire du cinéma.
C'est justement pour cela qu'il a marqué autant de spectateurs, et bouleversé la manière de faire des films d'action : John Wick a prouvé une nouvelle fois, 15 ans après Matrix, qu'il est possible de proposer un travail esthétiquement fourni et réussi dans une oeuvre basée sur la baston et le massacre de malfrats, qu'on peut encore nous proposer, après les dégâts des montages innommables de Taken 3 et Quantum of Solace, des scènes de combat lisibles et parfaitement chorégraphiées qu'on jugerait presque comme jolies.
Le premier combat à proprement parlé du film, démonstration jouissive des talents de tueur de Wick, présente un avant-goût de tout ce qui viendra ensuite : stable et efficace, le long-métrage des cascadeurs Chad Stahelski et David Leitch pose les bases du renouveau du cinéma d'action des années 2010 en faisant la part belle à la contemplation des combats, à la mise en avant du talent des chorégraphes, des cascadeurs, augmentant de fait le réalisme et la violence de ses séquences de combat fantastiques.
Elles justifient à elles-seules son visionnage, tout autant que le costard et la coiffure de Reeves; clairement mis en oeuvre pour filmer sa star en train de s'essayer aux chorégraphies réussies de ses deux réalisateurs, John Wick partage avec son public un plaisir de tournage évident pour les principaux intéressés (Leitch, Stahelski et Reeves), qui forment un trio pétaradant remarquablement jouissif.
Il fallait bien sûr s'attendre à ne pas tomber sur de la dentelle : l'équipe s'étant principalement concentrée sur les visuels, il ne restera pas de grande place pour ce qu'il reste d'écriture; le développement ultra-caricatural des personnages, l'évolution bordélique du scénario et la constante recherche de la meilleur punchline au meilleur moment virent au ridicule, entraînant dans leur chute un plaisir quelque peu restreint par la stupidité flagrante de l'ensemble.
De même que l'on pouvait craindre du personnage de n'être finalement qu'un moyen pour Reeves de s'amuser (ce qu'il est sans aucun doute), l'essai de Leitch et Stahelski oublie trop rapidement son intrigue en réduisant son histoire sur un milieu qui manque d'ampleur (chose que le second opus corrigera avec démesure, au point de renvoyer ce premier volet au stade d'introduction certes réussie, mais clairement incomplète).
Si le plaisir est total et la joie de redécouvrir un cinéma oublié depuis longtemps est difficilement dissimulable, l'entreprise dévoile trop rapidement ses limites : avouer sa faute ne la pardonnant qu'à moitié, on sait ce qu'on regarde et c'est justement parce que l'imagerie est si réussie qu'on regrette finalement le manque de soin apporté à la rédaction.
Sans être non plus en demi-teinte, ce John Wick représente les premiers pas dans le cinéma d'un duo de réalisateurs séparé trop vite : premiers pas d'une photographie qui manque d'éclat et de splendeur, premiers dans un univers de tueurs à gage fascinant que l'avenir nous permettra bien heureusement d'explorer plus en profondeur. La seule chose que l'on pouvait prévoir concerne le plaisir pris par Reeves pour interpréter le rôle, qui s'est trouvé, comme avec Point Break et Matrix, le rôle d'une décennie jusqu'ici remplie de petits projets sans grande ampleur, si ce n'est qualité.
Le meilleur reste à venir.