Près de dix ans depuis son dernier film, La Femme sans tête, Lucrecia Martel revient avec Zama, qui est un long métrage très différent de ce qu'il a réalisé par le passé. Non seulement le cinéaste a quitté Salta (une ville se situant au nord de l'Argentine), la terre symbolique de La ciénaga (2001), La Niña Santa (2003) et La Femme sans tête (2007), mais en plus il a choisi de voyager dans le passé, jusqu’en 1790 plus précisément. De plus, si ses précédents longs métrages étaient des scénarios originaux, ici, il s'inspire de "Zama", le roman d’Antonio di Benedetto. Lucrecia Martel explique :
"Lorsque j’ai terminé La Femme sans tête, j’ai eu la sensation d’arriver au bout de quelque chose. Par ailleurs, je souhaitais m’immerger dans le monde d’autres auteurs avec, dans un premier temps, l’adaptation de la bande-dessinée El Eternauta (L’Éternaute), puis celle de Zama. La spécificité de Zama est que ce roman est une véritable invention linguistique ; dans l’ordre des mots, dans les temps utilisés, il y a un pouvoir à l’oeuvre qui a de lourdes conséquences sur le corps. Je m’en suis rendu compte à l’écriture des dialogues. Il m’est également arrivé quelque chose il y a longtemps, quand j’ai visité le musée de la prison d’Ushuaïa. J’avais 25 ans. Les cellules étaient décorées de manière à récréer l’époque où la prison fonctionnait encore. Dans le décor de l’une d’entre elles, il y avait un paquet de cigarettes de la marque Particulares 33. À la fin des années 1970, mon père fumait ces mêmes cigarettes. Un paquet de cigarettes faisait le lien entre la cuisine de mes parents et la prison d’Ushuaïa. C’est alors que j’ai eu, pour la première fois, un aperçu de ce qu’est la Circulation. Quelqu’un lit un roman et en fait un film. Tout cela fait partie de la Circulation - une membrane qui s’étend d’un individu à un autre. Plus la circulation est bonne, plus le sang irrigue les tissus et ainsi, on passe du statut de somnambule solitaire à celui de membre d’une communauté."
"Zama" est un roman exigeant, d’une précision extrême. Lucrecia Martel nous en dit plus quant au travail d'adaptation qu'il a opéré : "La difficulté du marché engendre une écriture rigoureuse. Le manque de modestie des premières versions de mes scripts est passé par la guillotine budgétaire. Parfois, j’imagine la vie dans des pays riches où mes films auraient été obèses, énormes, avec des scènes inutiles et complaisantes. Donc je dois admettre que cette rigueur et cette précision proviennent principalement du manque de moyens dont nous souffrons sous nos latitudes. J’ai confié à Fabiana Tiscornia le soin d’apporter quelques ajustements au scénario car elle a le don de voir l’essence des choses."
Dès le début du tournage, Lucrecia Martel a travaillé avec Guido Berenblum au niveau du son. Le metteur en scène se rappelle : "Il a un métronome dans son hypothalamus. Il peut détecter des rythmes et des sons là où nous autres n’entendons qu’un horrible bruit. Nous voulions que le son soit subjectif et lié à la province du Chaco. Nous aimions beaucoup le cri de l’ibijau gris (qui est presque humain) et celui de l’araponga à gorge nue qui est quasi cybernétique. Guido a rassemblé une collection de cris d’oiseaux de la province que nous avons trouvés sur les pages internet des ornithologues de la région, et a aussi utilisé des cigales et autres insectes. De nombreux textes dits par les personnages sont en voix off, sur des plans de Zama. Ce que je voulais faire (et cela dès les premières versions du scénario) était de répéter ce procédé plusieurs fois pour que les spectateurs se disent à la fin que toute cette histoire était une invention de Zama."
Le casting des acteurs professionnels a été confié à Natalia Smirnoff, avec qui Lucrecia Martel travaille depuis La Ciénaga. Le casting des acteurs non-professionnels et des rôles secondaires a quant à lui été confié à Vero Souto, une femme capable d’aller dans des endroits où même la police ne se rend pas. Elle a cherché des acteurs pendant des mois, seule, sous 40 degrés, dans la province de Formosa. Le metteur en scène raconte :
"Et même quand, de notre côté à Buenos Aires, nous prenions la décision d’arrêter le film par manque de moyens, elle continuait à envoyer ses trouvailles. Je dois avouer que cela m’a donné la force de continuer plus d’une fois. Nous avons tourné la scène de la fête Mbayá dans l’hôtel où nous logions, dans le hall que l’on peut justement louer pour des fêtes. Ce n’était pas prévu à l’origine, mais la décision a été facile à prendre grâce à Javier Leoz, le directeur de production, qui a toujours su poser les questions auxquelles tout réalisateur doit répondre avant de s’éloigner du scénario. Leoz est une légende du cinéma. Une personne qui aime le cinéma argentin devrait écrire un livre sur lui."