À la fin du XVIIIème siècle, le corregidor don Diego de Zama est affecté dans une petite bourgade du Chaco, une région reculée de l'empire espagnol. Il attend impatiemment son rappel à Buenos Aires où l'attendent sa femme et ses enfants. Mais l'ordre de mutation tarde et Zama perd patience.
Le pitch de "Zama" pourrait se prêter à toutes sortes de traitements. Il pourrait s'agir, comme dans "Coup de torchon", de chroniquer la vie aux colonies, ses petitesses et son exotisme frelaté. Il pourrait s'agir au contraire, comme dans "Les Caprices d'un fleuve" - qui se déroule lui aussi à la fin du XVIIIème siècle mais sur les bords du fleuve Sénégal - de rendre compte de la sauvage beauté d'un paysage étranger et de la difficulté d'y créer un lien avec la population indigène en situation coloniale.
Lucrecia Martel opte pour un parti plus esthétisant, qui fait se pâmer les critiques les plus exigeants, depuis Mathieu Macharet au Monde à Nicolas Azalbert aux Cahiers en passant par Serge Aganski aux Inrocks. On se sent du coup tout bête de ne pas partager leur unanimisme, craignant de rejoindre la horde des scrogneugneux, incapables de s'élever à d'autres formes de narration, aveugles aux longs travellings contemplatifs, sourds aux disharmonies de la bande son.
Il est vrai que le CV de Lucrecia Martel a de quoi intimider, qui fut au début des années 2000 un des chefs de file de la "nouvelle école argentine" avec des films qui avaient marqué leur temps - à défaut de me convaincre tout à fait : "La Ciénaga", "La Niña Santa", "La Femme sans tête"... On n'avait plus de nouvelles d'elle depuis bientôt dix ans. Elle revient en quittant la bourgeoise argentine contemporaine qui constituait le milieu dans lequel elle avait tourné ses trois films.
Pendant les deux premiers tiers du film, on y voit Diego de Zama se débattre avec la population de la bourgade où il officie : un gouverneur qui le mène en bateau, un adjoint qui conteste son autorité, une épouse qui l'émoustille sans lui céder. En arrière-plan, les indigènes sont omniprésents, mais silencieux. L'impression est volontairement chaotique, comme si les saynètes se succédaient sans logique, comme si leur contenu même était diffracté, certains dialogues se répétant absurdement.
Le cadre change dans le dernier tiers du film. Renonçant à l'attente stérile, Zama part dans la jungle à la recherche d'un mystérieux bandit qui terrorise la région. La poursuite se transforme bientôt en piège. La petite bande armée est faite prisonnière par les Indiens. La fin est, selon comme on la considère, atroce ou grandiose, traumatisante ou sereine. C'est tout dire...