C'est beau Shakespeare, tudieu. La poésie de ses mots m'a toujours parue difficile à suivre, mais là, effilée dans le film (et semble-t-il, joliment traduite dans les sous-titres) elle se déguste avec une vraie joie d'esthète privilégié. Je me suis sentie privilégiée d'être là dans mon fauteuil de cinéma à regarder ça, voilà bien un sentiment que j'ai rarement.
J'avais vu le Macbeth de Polanski il y a des siècles, mais sans éprouver cette... fierté.
C'est beau et psychologiquement, c'est du grand art. Les motivations, les évolutions, les revirements, avec cette très précise poésie des mots à chaque sentiment, c'est magnifique de finesse.
Et cette finesse en cadeau, nous est-elle rendue accessible par la mise en scène ou par les acteurs ? Les deux, je suppose. La mise en scène réussit à être puissante et sobre, esthétique et humaine à la fois. Silhouettes émergeant du brouillard, plongée dans des regards, décors froids et magnifiques, et puis mea culpa mais j'adore les ralentis. Le réalisateur en use et en abuse peut-être, mais pour mon plus grand plaisir frissonnant !
Et les acteurs... Fassbender Michael, le dernier film où je l'ai vu s'appelait Franck, et il joue dissimulé sous une tête de carton-pâte pendant 95% du film. On ne le voit qu'aux cinq dernières minutes, et c'est absolument bouleversant. Même dans X-Men, il est bouleversant. Là, fatalement... J'aime sa mélancolie posée, son calme dans la tempête, sa puissance qui ne dissimule pourtant pas sa fragilité. Il joue Macbeth comme un auto-sacrifice, un Macbeth même pas convaincu qu'il explose toutes ses valeurs (et quelques vies humaines au passage) pour quelque chose qui en vaut la peine. Tout au long du film j'ai pensé au 13 novembre. Le dialogue intérieur de Macbeth est parfait, sur les quelques mètres qui le séparent de la tente où dort le roi. Il hésite, il sait qu'il va se perdre, il ne fait même pas ça par amour, il sent que jamais il ne profitera de son statut en toute quiétude, mais l'ambition et peut-être l'ivresse du mal, l'ivresse de la destruction sans retour le guident. Il se suicide en tuant et semble soumis à cet adieu de tout ce qui a fait sa vie jusqu'alors. Il est foutu, il avance. Marion Cotillard, glacée dans sa tristesse et son amertume (le metteur en scène a ajouté semble-t-il au "scénario" de Shakespeare l'enterrement de leur jeune enfant, à l'ouverture du film), nous donne une Lady Macbeth qui reste humaine, extrêmement lucide, se laissant aller à retrouver un peu de vie dans cette ambition délirante. Son texte, encore une fois, est parfait, et elle le passe à merveille. Shakespeare est étonnant à nous décrypter ainsi le tissage des sentiments humains conduisant à un massacre. Le goût du sang. Une sensation de pouvoir absolu, une sensation éphémère. Puis un immense gâchis. Pour rien.
Un minuscule bémol pour la seconde partie du film, où l'errance de Macbeth dans son entreprise de destruction est jouée de manière trop distanciée par Fassbender, à mon goût. Plus il descend dans le sordide et le gâchis de vie, plus il est calme, j'aurais aimé un peu plus de tension dans son dégoût de lui-même, et dans le cercle vicieux qui lentement, l'étouffe. J'ai par contre apprécié le calme des morts qui le regardent, sans grand guignol, posément.
Un beau film. Je pense que je retournerai le voir.