N'allez pas voir cette absurdité !!
Grand passionné de Shakespeare, donc grande déception... et ma critique sera acerbe...
La pièce de William Shakespeare, son sens général :
Macbeth est un général de l'armée écossaise et la pièce s'ouvre sur une bataille capitale qui décidera du sort du royaume.Sur le champ de bataille, Macbeth ne craint pas l'épée de l'ennemi, tout au contraire, sa férocité permet la victoire et fait de lui un héro de guerre.
Quel est le ressort d'une telle furie, et avec elle de ce désir d'avoir un contrôle absolu, sinon, au fond, la peur ?..Chez Shakespeare le subconscient des personnages majeurs et les phénomènes extérieurs se font souvent écho, ainsi pour Macbeth qui a l'issue de la bataille sur la lande écossaise - encore fumante de la guerre et qui a tout d'un long crépuscule – rencontre trois sorcières et devineresses qui lui promettent ce pouvoir absolu, justement, qu'est le trône d'Ecosse. En dépit d'une preuve secondaire de leur clairvoyance, Macbeth est assailli par le doute - il a peur d'elles.... Mais le désir a été semé, le fantasme est né et il grandit. Convaincu par sa femme qui l'accuse de ne pas être un homme s'il n'accompagne pas son désir d'un passage à l'acte, Macbeth tue le roi légitime, incriminant des serviteurs. On offre le sceptre à ce grand héro de guerre que l'on croit très loyal. C'est dès lors la Peur qui porte la couronne. Les trois sorcières, reflets de son esprit, revenant nourrir ses inquiétudes, il avance toujours plus dans le sang, détruisant tout ce qui peut inquiéter son pouvoir.
Le traitement du réalisateur, à mes yeux absurde :
A la fin de la pièce, quelle pensée Shakespeare prête-t-il au tyran, au sujet de la vie ? Celle-ci : « C'est un récit plein de bruit, de fureur, qu'un idiot raconte et qui ne signifie rien. »
Hélas, on pourrait sur ce film poser le même avis...
Ce qui est certain, c'est qu'il ne signifie pas grand chose.
Comment Macbeth, personnage central et boussole fébrile de cette tragédie de la démence et de la peur, est-il interprété ?..Comment fit-on jouer l'acteur campant ce personnage que la trame et le texte présentent dans la précipitation, violent, vite sur le qui-vive, et sans cesse plus inquiet ?...de façon désengagée et fatiguée !... Du début à la fin – mises à part durant les deux ou trois scènes de combat, et encore !... - l'acteur Michael Fassbender avance les épaules basses, sans allant, tel un grand dépressif...un désillusionné traînard dont les ambitions sont déjà mortes....ou mortes à peine nées... Le contresens avec la dynamique psychologique du personnage dans la pièce écrite par Shakespeare est énorme, et c'est la raison pour laquelle ce film ne peut pas prendre. Cet axe de jeu condamne le film fatalement à l'échec. Comprenons bien que le texte nous souligne à chaque page que la citation ci-dessus – qui en effet pourrait être celle d'un authentique dépressif – ne peut en aucun cas être choisie comme inspiration première pour jouer le tyran. Cette citation n'est qu'une des conclusions qu'il tire de son expérience d'ambitieux, de présomptueux amoral et de paranoïaque – et cela avant de dégainer volontiers l'épée pour son combat ultime !...Si Macbeth perd ses illusions, ce n'est donc que partiellement, et à la fin. Le socle sur lequel s'érige la statue du tyran Macbeth, le socle rendant la figure immortelle dans le répertoire mondial, c'est la peur constante, l'avidité, la précipitation et la violence brute, on ne peut modifier cela. Ce n'est pas un colosse fatigué et aux pieds d'argile, pas du tout, mais un fort, un malheureusement fort, voire même un coupable absolu parce qu'allant trop loin dans la violence, en toute conscience, que rien a priori ne rachète...Certes, un doute vague sur sa virilité plane sur la pièce comme sur la lande - vulnérabilité belle et bien suggérée par Shakespeare - sauf que ce doute sur lui-même ou ce complexe, justement, semble aiguiser son glaive qui s'ensanglante toujours plus jusqu'à décimer familles et enfants, cela jusqu'au duel final et à mort.. Shakespeare nous fait entendre que la peur est la source brûlante de son esprit combatif, de sa férocité...et Macbeth protège son talon d'Achille qui n'est jamais tranché...
Oubliant cela le réalisateur, lui, a rendu la pièce bancale et tout s'est mollement effondré. Quel que soit notre talent, on ne peut faire tenir une oeuvre en découplant son texte d'une partie cruciale de son sous-texte, c'est impossible. Et surtout absurde.
Les spectateurs perçoivent intuitivement ce hiatus au bout d'un quart d'heures, un contraste assez risible au bout d'une heure – je prends pour repère mes sensations comme celles de mon voisin de fauteuil.
J'ai deux interprétations possibles de ce choix de direction d'acteurs et de réalisation, la seconde étant très probablement la bonne : La première est que le réalisateur n'eut qu'un problème flagrant de compréhension de base, point final....la seconde est que ce choix est une coquetterie intellectuelle d'artiste ayant lu, au contraire, pléthore d'analyses de l'oeuvre shakespearienne, qui a digéré et redigéré la pièce et qui a pour ainsi dire « beaucoup trop réfléchi » dessus... et qui s'évertua à transposer une vision originale mais beaucoup trop abstraite, oubliant le simple bon-sens... Je m'attarde un peu sur cette possibilité... ce jeu d'acteur de Fassbender pour Macbeth tel un désillusionné aux ambitions "mortes à peine nées" du début à la fin...est donc plausiblement très étudié...car dans la trame de cette tragédie de la peur et de l'ambition démente Shakespeare distille la confusion de la vie et de la mort, suggère aussi plusieurs fois une appréhension trouble de la conception et de la naissance, cela via des métaphores, attribuant par exemple à Macbeth le fantasme d'amputer son acte criminel de ses conséquences négatives - comme on féconderait bel et bien une femme mais sans que s'ensuive jamais de naissance...ou que la naissance n'en soit pas vraiment une, c'est à dire celle d'un enfant mort-né ...c'est bien l'un des climats sémantiques dans lequel Shakespeare fait baigner son personnage et nous plonge...Vous avez plus que probablement vu ces suggestions du dramaturge, monsieur le réalisateur, mais alors vous êtes allé trop loin... vous avez carrément ouvert le film sur l'inhumation d'un bébé – ce qui n'est pas du tout dans la pièce – négligeant le fait que l'auteur reste dans le vague à ce sujet, dans l'imprécision, se cantonne à la métaphore... juste évocatrice et de temps à autre ! vraiment, il se garde de bien de souligner cette donnée... si c'est donc parce que vous l'imaginez en ce père très éploré que vous tenez absolument à faire du tyran un homme abattu aux espérances tuées dans l'oeuf... le texte, cela ne change pas, vous donne clairement tort. Il est trop bien écrit, vous comprenez, et ne peut céder à votre sur-interprétation, il incite trop, quoi que l'on veuille, au jeu tendu, inquiet, il crée un Macbeth avide, c'est tout, un Macbeth qui se précipite vers la couronne puis se précipite pour trancher à coups d'épées les liens que d'autres pourraient prétendre avoir avec elle... en dépit de votre analyse, le texte refuse le jeu d'acteur auquel vous avez contraint Fassbender !...et vous auriez du de même comprendre que flanquer ce tyran de ce regard et de cette attitude va jusqu'à ôter son sens même à l'apparition des sorcières après la bataille...qui personnifient sa perte mais aussi ses violents espoirs cachés et bien vivants, sa voracité de pouvoir, son rêve de grandeur...votre choix de mettre à ce point à l'honneur cette vague suggestion de Shakespeare, une donnée parmi d'autres, est donc absurde, a tout fait s'effondrer. En conséquence, pardonnez la blague, votre film est mort-né.
Cette pièce est censée nous éclairer en jetant la lumière sur la mécanique subconsciente d'un tyran, d'un type générique de tyrans - Avec Macbeth, on comprend sans doute mieux Hitler – Mais donc...voilà, avec mon envie constante de filer un coup de pied au cul d'Hitler en lui disant : « Qu'est-ce que c'est que ce comportement insensé ? Sois avide, sois hargneux, et convainc-moi aussi de ta peur de fond immense ! », je n'ai jamais pu y croire un minute... de plus et hélas, ce dépressif las et désengagé évoluait au rythme d'images traînantes, aux gros plans insistants, aux ralentis inutiles... (Sachant en outre que le moindre sous-rythme, de nos jours, on peut le regretter ou non, passe mal auprès du grand public. ).
Il est donc très probable que le réalisateur ait grandement surévalué un aspect secondaire de la pièce, cette histoire suggérée d'enfant mort-né, ce qui a tout gâché. Il a complètement gâché un chef d'oeuvre d'un auteur très précieux dans l'histoire du théâtre et pour la connaissance de l'être humain, William Shakespeare ! ( et au passage une de mes pièces fétiches ) Déjà qu'il y a peu j'ai vu, je dis cela avec l'humble respect que j'ai pour elle, l'immense Ariane Mnouchkine faire avec Macbeth une connerie...une sorte de sosie de Dupontel, dans le physique comme, hélas, dans l'humour...qui campe un Macbeth pour qui rien ne serait profondément grave – mais au moins, avec une version Dupontel... comment dire ? Inquiétude et qui-vive ne manquaient pas...
Dernier point grotesque, dans ce film les trois sorcières sont flanquées d'une gentille fillette totalement absente de la pièce de Shakespeare, restant mutique ( encore heureux ) mais n'apportant rien, ne jetant même pas un ersatz de regard inquiétant histoire de marquer le coup. L'obsession de l'enfant mort ?...L'effet est que les sorcières, personnification du désir et de la peur de Macbeth, qui sont son espoir comme sa perte, perdent en impact et gagnent – quelle absurdité - en innocence... les trois actrices étant, en plus, plutôt mignonnes...
Voilà, je trouve la direction d'acteur manquant de bon-sens et devenue absurde, le film trop lent et l'enfance y prenant une place trop importante et dommageable.
Pour finir, les rares points positifs...:
Bénéficiant d'une direction d'acteurs moins inopportune, je trouve que Marion Cotillard, incarnant lady Macbeth, tire un peu son épingle du jeu.
Les trois ou quatre minutes de scène de dialogue entre elle et son époux, dans leur chambre, qui commence à s'enliser dans le sang et la démence en lui précisant notamment comme sa tête est « pleine de scorpions », m'ont semblé une réussite dans le fond et la forme, y compris pour Fassbender, soudain plus vivant et expressif dans l'angoisse, presque fascinant.
Bien qu'amputé d'un gros quart environ ( le conserver intégralement eût poussé une adaptation cinéma à 3 heures environ ), le texte reste fidèle à celui de Shakespeare. La traduction choisie aurait pu être un peu plus contemporaine, au jugé les sous-tireurs se sont basés sur celle de François-Victor Hugo, ça et là un peu trop imprécise mais tout de même élégante.
Esthétiquement parlant, j'ai trouvé splendides les plans de la lande écossaise brumeuse et le travail subtil des teintes crépusculaires jusqu'à l'intérieur du château.
Donc, si vous hésitez à aller voir ça, n'hésitez plus, évitez l'ennui, complet pour quiconque et terrible pour un fan de Shakespeare, et restez at home, fellows.