Rarement je n’ai pu utilisé qu’un seul mot pour réussir à qualifier un film et pourtant « on ne dit jamais : fontaine je ne boirais pas de ton eau » car un terme me suffira ici : PUISSANT. Et s’il suffit, c’est qu’il arrive à qualifier tous les aspects de ce film magistral dont on ne peut retenir que l’aboutissement d’une justesse comme rarement cela m’a été donné d’en voir.
Contrairement aux critiques que la pauvre française doit subir très régulièrement, son jeu d’actrice est à la hauteur du rôle qu’elle incarne. Oui, c’est de l’incarnation dans toutes les nuances que lui impose le paradoxe du personnage, de ses sentiments et de sa relation à son époux. Lady Macbeth tourmentée, détruite, ambitieuse et maudite. Les mots n’ont que peu de valeurs dans la bouche de Marion Cotillard quand seuls sa présence et son regard suffisent à interpréter la folie, la déception, la déchéance, etc. Lady Macbeth est un rôle compliqué à tenir tant toutes les facettes sont contradictoires, ambiguës, distancées et amplifiées simultanément. Marion Cotillard a réussi ce rôle, on lui doit bien cela. Mais l’autre réussite qu’on doit lui accorder également, c’est celle d’amplifier la magistrale voire inégalable prestation de Michael Fassbender dont je ne me remets toujours pas tant rien n’aurait pu être mieux acté. Je crois que de tous les films de l’année, de toutes les interprétations récentes que j’ai pu voir, il est le seul – à ce jour – à mériter un oscar (sachant qu'il n'est même pas nommer, bref). Déjà parce que oui, c’est du classique de Shakespeare en version biopic américain tendance indépendante … je ne sais pas ce qu’il vous faut de plus ?
Toute la construction du film repose exclusivement sur ce que dégage Fassbender au point d’être présent même en son absence à l’écran.
Mais ici, il ne s’agit pas d’une simple adaptation telle qu’on a pu déjà en voir des tas mais plutôt d’une retranscription de la pièce sur le support cinématographique où nous ne sommes pas des spectateurs mais incarnons l’humanité de ses personnages en leurs splendides faiblesses. Écorchés vifs, âmes torturées, corps arrachés au sacrifice d’un rêve, nous sommes le sol sur lequel les guerres se déroulent, les croix qui font se mettre à genoux les peuples priant, nous sommes les éléments et le néant car chaque plan du film nous renvoie dans une position imaginaire qui nous invite, nous, à nous interroger. Toute chose y est amplifiée à son paroxysme : le sombre et le clair, le jeu des rouges, des jaunes, des oranges en fonction de l’état d’âme de Macbeth. Les ralentis et les moments morts nous font serrer les dents pour celui qui plante une épée dans la chair, les sons lourds répétés continuellement sur la durée du film nous entraînent à maudire, à haïr, à perdre pied et raison au profit d’une chose qu’on ne peut nommer, qu’on ne sait nommer.
Toutefois, malgré la grandeur des choix, du casting, de la bande-originale et de la puissance générale qui se dégage de cette atmosphère oscillant entre le malsain, la folie et l’incarnation humaine, nous sommes loin d’une œuvre grand-public. C’est même très clairement l’opposé, plutôt dans un registre indépendant malgré la grosse production qui suit. Le film est construit et repose sur de très nombreux codes « culturels » pour bien comprendre le sens de cette production en l’état, de cette retranscription plutôt qu’adaptation comme je le disais. Et pour cause, si vous n’êtes pas habitué-e-s ou connaisseur-s des œuvres de Shakespeare, des pièces de théâtres en trois actes, ne vous y tentez même pas. Les moments de silence sont intenses pour accentuer les tambours, les monologues rares sont étendus dans des débits de parole déconstruits mais qui reflètent encore une fois l’état d’esprit de la tragédie que doit être Macbeth dans l’ensemble de sa vie. Si le film ne s’arrête que sur une partie du personnage, sur un format atteignant presque les deux heures, on ressent toute la construction du classicisme théâtral anglais et ça rend le tout incroyable.
Chaque image, chaque son, chaque moment, chaque regard, chaque souffle, chaque mouvement, chaque couleur, chaque claquement, chaque cri, chaque larme, chaque temps, chaque silence, chaque rire, chaque détournement, chaque toucher … incarnés à l’état de perfection avec une grande puissance qui ne pouvait être mieux réalisé.
J’en perds sans doute toute objectivité tant j’ai trouvé cette construction absolument démentielle et réalisée avec génie. Je ne m’attendais pas à une si grande réussite qui dans les traits les plus classiques a su raviver toute la réalité contemporaine de la nature humaine dans sa plus grande complexité.