Le deuxième film de Justin Kurzel est une adaptation de Shakespeare à la modernité revendiquée, dont l'esthétisation outrancière rejoint de façon idoine les différences que son propos creuse avec la pièce. Celles-ci tiennent pour les résumer dans une aura morbide constante qui plane sur cette version et un scénario à la folie continuelle qui s'éloigne un peu de l'oeuvre du dramaturge anglais, qui regardait son personnage avec un recul moral que n'a pas le film de Kurzel, qui semble avoir cédé au désespoir. Si je disais que sa modernité rejoignait cette relecture novatrice, c'est que tous ses excès aux antipodes d'un classicisme qu'on juge souvent de rigueur pour adapter Shakespeare (avec un peu trop de déférence, à mon goût) semble converger avec la force d'une implosion vers une emphase qui donne corps au désespoir ultime et définitif qui cimente le film. Dans cette lande fantomatique, Macbeth semble guidé par la mort avant même de s'y être lié par le pacte que l'on connait. Les hommes, séparés mêmes les uns à côté des autres par une brume oppressante, font l'effet de cadavres guidés seulement par la peur et par l'ordre des choses, qu'ils ne peuvent renverser. Tous les choix formels appuyés à l'extrême (les filtres, les ralentis, l'austérité de la photo et la rigidité dans la composition des plans) dépassent donc de très loin l'aspect poseur qu'on pouvait craindre à l'origine pour trouver corps dans une réalité unique, comme un bloc, qui capte et emprisonne le récit qu'il déroule de façon mortifère, sans échappatoire. Cette vision hantée, hallucinante par moments, est malheureusement à mes yeux un chouïa desservie par le scrupuleux respect des vers de Shakespeare. Globalement retranscris tels quels bien qu'amoindris par certaines ellipses, les vers de la pièce sont utilisés pour renforcer le sentiment de désincarnation que Kurzel peaufine : l'australien cherche sans doute à dépasser la pièce originelle en la segmentant pour la déséquilibrer et en rendre une copie à première vue légèrement imparfaite qui ne cache en fait qu'une belle réappropriation : à laisser dans l'oubli certains passages, il laisse s'immiscer de son oeuvre vers la pièce le sentiment de mort et de perte ubiquitaires qui sont la clé de voûte de tout l'ensemble. Aidée par les siècles écoulés, cette version fidèle mais amoindrie donne à sentir que même le recul de l'auteur s'est évaporé ; que la tragédie n'est pas amorcée par un meurtre que l'on réprouve et dont on décrit les conséquences mortifères, mais qu'elle est antérieure, plus ancienne, à tel point qu'on a oublié sa raison et que devant le marasme de peur qu'est la vie humaine, la folie est dès le départ la seule option qui s'offre à l'homme. L'oppression globale s'en trouve insidieusement renforcée, mais pourtant, comme je l'ai déjà dit plus haut, je trouve que la fidélité dessert le film quant à l'impression immédiate, même si elle le renforce sur la durée. Même si il le dévoie à des fins neuves et percutantes qu'il a assez de talent pour rendre justifiables, Justin Kurzel n'effacera en effet pas Shakespeare, et l'ombre de son écriture plane sur le film, me faisant parfois l'effet d'un élément pas tout à fait intégré. La faute en incombe à l'image, qui, devant la force et le sens évocateur évident des répliques (Shakespeare, quoi) est parfois réduite à paraphraser le texte, où à l'encadrer platement sans arriver à lui donner de la vie par peur de trop en faire. L'origine théâtrale de ces lignes refait alors parfois surface, et Macbeth flirte avec la grandiloquence pompeuse qu'il sait autrement si bien tourner en grandeur. Puis tout, dans ces répliques, est amené un peu trop frontalement, quant le cinéma demande plus de non-dit et de retenue pour trouver sa respiration. Kurzel l'a d'ailleurs bien compris, puisqu'il ménage de longues plages de silence absolu entre ces tirades d'une densité rare. L'oeuvre est alors quelque peu bancale, et manque de développer l'aura avec laquelle elle flirte. Fassbender et Cotillard, en revanche, sont époustouflants d'épaisseur, surtout en ce qui concerne l'irlando-allemand qui n'a peut-être jamais été aussi bon, à part chez Steve McQueen. Bref, Macbeth est une oeuvre ambitieuse qui flirte avec la grandeur, et l'atteint au moins par séquences. Je trouve quand même qu'elle n'arrive pas tout à fait à trouver sa voie.