Présenté ainsi, qui plus est sous couvert d’un regard sociologique (et neutre ?) sur une génération de trentenaires victimes de la précarisation, et visiblement à côté de leurs pompes, le projet paraissait excitant. Se posait aussi la question de savoir comment Justine Triet allait utiliser ce matériau bigarré et foutoir des interviews sur le vif de militants passionnés, à droite (un peu) comme à gauche (beaucoup). La réponse tient en deux mots : très mal. Pour être plus précis, la jeune cinéaste ne fait rien de ses sujets tant politique et collectif qu’humain et individuel. Elle ne parvient jamais à nous rendre proches et palpables la fébrilité et l’excitation, parce qu’en plaçant de manière incongrue sa caméra en surplomb d’une foule dense et mue par le même désir de voir son candidat triompher, elle se tient idiotement éloignée du cœur nucléaire d’un mouvement de masse qui, au final, se réduit à une fonction de cache-sexe, bientôt délaissé, pour revenir aux états d’âme de ses personnages.
Comme on peut légitimement penser que Justine Triet représente un des éléments de la communauté qu’elle prétend observer, on ne lui fera pas le mauvais procès d’embellir ou de caricaturer le trait. Le constat n’en est pas moins affligeant : la précarité et les accidents de la vie conduisent-ils obligatoirement à l’irresponsabilité, aux comportements hystériques et égoïstes, reléguant de manière aussi inquiétante qu’obscène le rôle des enfants (et accessoirement celui d’une chienne, vue ici comme un transfert manifeste d’enfant) à des objets de transaction (qu’on n’hésite donc pas à trimballer dans des endroits surpeuplés et potentiellement dangereux) ou de chantage ?
Alors qu’il vise à s’emparer d’un certain réel pour le distordre dans la fiction d’une histoire personnelle, à la fois tristement sordide et bêtement universelle, le film sape complètement ce dessein en campant en Laetitia une journaliste en laquelle on ne croit pas un seul instant. En tout et pour tout, on l’aura vue ‘travailler’ une dizaine de minutes, soit la moitié du temps passé à trouver la tenue adéquate pour partir bosser – posant, du coup, la question de savoir s’il est nécessaire de s’habiller comme une pute pour aller mettre son micro sous le nez de militants (aux propos consternants de banalité).
C’est Emmanuel Chaumet qui est aux manettes de la production. Producteur très en vue, on lui doit d’avoir rendu visibles les œuvres de Sophie Letourneur et La Fille du 14 juillet. À Chaumet, on peut automatiquement associer le nom de Vincent Macaigne : le metteur en scène de théâtre, lui aussi très en vogue après avoir créé l’événement en 2011 à Avignon avec son adaptation peu conventionnelle de Hamlet, finit par polluer de son jeu répétitif et lassant les films où il joue. En ce sens, la dernière demi-heure de La Bataille de Solferino est une purge sans nom. On se désintéresse totalement de Laetitia, Vincent et les autres, pour lesquels on n’éprouve ni compassion ni colère. Juste une profonde indifférence qui s’étend au film entier, raté et inconsistant, dont l’énergie débordante et mal canalisée masque mal la vacuité.