https://leschroniquesdecliffhanger.com/2023/05/21/la-bataille-de-solferino-critique/
La première bataille est lancée très vite. Elle sera stridente, criarde, au bord de l’insoutenable, peut-être la pire des guerres, l’originelle, la plus cruelle, à savoir… : les pleurs d’un bébé… qui ne veut que les bras de sa mère. Aucun décibel de ses hurlements ne va nous être épargnée. Les intentions de Justine Triet par cet acte 1 de la mise en scène sont limpides : l’authenticité. Nos oreilles et nos neurones sont dans le même état que l’appart où le bébé a tout dévasté à lui tout seul : un champ de ruines !! La bataille va se poursuivre dans la rue avec Laetitia, mère de l’antéchrist en couche culotte. Un certain 6 Mai 2012, lors d’une certaine élection présidentielle où rappelons le changement c’était maintenant… ou pas !! Alors, Laetitia va se battre contre le temps, contre ses angoisses, contre la vie, qui précarise sa situation de mère seule et journaliste de terrain pour une grande chaîne nationale.
Pendant que son baby sitter, totalement pas formé à la fonction, va se fighter de son côté face à deux lutins qui ne veulent que leur maman et rien d’autre. Débarque Vincent, plus géniteur que père, qui se bat contre lui-même et ses propres turpitudes névrotiques en revendiquant un droit de garde, mais avec un jour de retard. La bataille est partout et la dramaturgie voulue par la cinéaste va subtilement s’installer.
Évidemment, à un moment, tout ce petit monde va converger en toute intranquillité vers Solférino dans une ambiance festive d’un peuple de gauche, ce qui avec le recul est saisissant car plus tard, ce ne fut ni la fête, ni la gauche… Les batailles vont se croiser et c’est comme si le drame latent s’installait à travers les psychologies respectives de chacun des protagonistes, qui sont découpées au scalpel, sans pour autant en faire trop dans la démonstration. Force d’un cinéma de suggestion, à ellipse, qui nous fait deviner, ressentir. C’est malin, frais et flippant à la fois.
La caméra de Justine Triet capte les sentiments avec une virtuosité émotionnelle d’une force redoutable, qui est difficile à oublier. La mise en scène est à hauteur d’humains, avec ce sens de la vérité qui nous fige, sans doute car elle nous ressemble. Les ressentis nous sont communiqués dans une urgence qui nous fait violence, aussi car le réel est partout.
Laetitia Dosch est toujours aussi étincelante de sincérité. Ses combats, ses batailles sont permanentes et on ne veut que l’aider. Elle virevolte partout, tout le temps et sans arrêt. Sa sensibilité est folle dans tout ce qu’elle touche, c’est à fleur de peau, à vif et c’est un bonheur de jeu. Vincent Macaigne est son parfait complément. C’est tout autant une affaire d’extrême sensibilité, tant il joue avec son tout. Son corps, sa voix, ses mouvements, son expressivité hallucinante. Comme d’habitude avec lui, c’est un régal de chaque seconde, et il nous manque dès qu’il disparaît du champ. La bataille de Solférino porte en son sein cette originalité plastique de forme, tant les personnages sont l’histoire et avec cet abime social de fond, tant cette bataille, c’est un peu et beaucoup aussi la nôtre.