Alors que la trilogie klapischienne vient de se clore il y a quelques semaines, Sébastien Betbeder débarque avec ses 2 automnes et 3 hivers pour nous prouver que les films générationnels ne sont eux pas près de s’éteindre et que les clichés sont parfois aussi de jolies images, si tant est qu’on sache leur donner vie avec un peu d’intelligence et de poésie.
Il est toujours facile et tentant de critiquer les films qui comme 2 automnes, 3 hivers prennent si délibérément le parti de fonctionner presqu’à exclusivement à l’identification, et donc forcément un peu par clichés interposés, mot sans doute le plus utilisé dans la langue français en contexte cinématographique. Oui, 2 automnes, 3 hivers est un film sur le vague à l’âme des jeunes trentenaires célibataires, parisiens de préférence. Voilà, c’est dit.
Sébastien Betbeder avait donc toutes les raisons du monde de s’abîmer en vol et de rejoindre le cimetière des films générationnels mièvres n’ayant d’autre intérêt que celui d’agiter le plus possible de cartes postales venues d’une époque bénie sensée ressusciter souvenirs et mémoires chez les spectateurs émus par ce voyage dans le temps à peu de frais.
Il y a d’abord le choix d’en dire le moins possible sur ses personnages en dehors du strict nécessaire pour entrer dans le récit, Sébastien Betbeder assumant clairement cette volonté de détachement du réel dès l’introduction par la voix de son héros. Un choix cohérent et défendable mais qui aurait aussi bien pu faire basculer son film dans la futilité et la tentation du vide. Il y a ensuite le ton et la structure très littéraires de cet étrange auto-récit, multipliant les voix, les apartés poétiques et les références culturelles telle une gigantesque toile faite d’une multitude de découpages. Une forme là encore audacieuse mais qui nécessite une sacrée maîtrise pour la faire entrer dans le cadre cinématographique sans sombrer dans l’exercice de style discordant. Et il y a enfin la façon très dilettante d’animer le récit à grand renfort de name-dropping d’icônes de la pop culture et d’anecdotes sur la vie au supermarché telle une chanson de Vincent Delerm*, un schéma maintenant largement exploité dans les différentes formes de l’art d’aujourd’hui.
En dépit de tout cela, Sébastien Betbeder parvient à faire de cet étrange capharnaüm, désordonné seulement en apparence, une œuvre profondément touchante et attachante qui sait alterner comique et tragique sans jamais avoir l’air de passer du coq à l’âne ou (trop) avoir besoin de décliner les clichés générationnels déjà maintes fois rebattus ici et là. Traversé par une véritable poésie, et pas de celles avec lesquelles l’on essaie souvent de nous assommer avec un violon et deux notes de piano, il est empreint d’une belle mélancolie qui n’empêche pas pour autant son film d’avancer mais le nourrit, chose assez rare pour être signalée.
Malgré cette richesse de tons et de sens, 2 automnes, 3 hivers sait par ailleurs conserver le fil de son récit et ne pas trop faire coïncider sa forme avec son fond, Sébastien Betbeder donnant à son film une vraie cohérence d’ensemble et pas seulement un fil rouge reliant plus ou moins subtilement ses différents chapitres. Intelligent jusque dans sa fin, elliptique mais sans doute plus intéressante qu’un grand discours tournant en rond sur la question, 2 automnes, 3 hivers réussit le pari de dire quelque chose de son temps tout en étant plus qu’un simple film de génération, vraie peinture impressionniste d’époque plus que simple cliché artificiellement jauni pour touristes.
Un beau film donc, sans doute l’un des meilleurs de la production française en 2013, et qui devrait permettre à son auteur et ses interprètes de se faire plus facilement une place dans le milieu. Tant mieux.