À défaut d'être particulièrement originale, cette chronique familiale convainc par sa simplicité, sa sensibilité retenue, son intelligence. Le film, maîtrisé d'un bout à l'autre, sonne juste avec juste ce qu'il faut : quelques morceaux du quotidien, grappillés ici et là, suffisent pour dresser quelques portraits et brosser un tableau social. Anthony Chen se remémore le Singapour de la fin des années 1990, touché par la crise économique, ainsi que son propre passé familial. Le scénario prend le temps de cerner quatre personnages plus ou moins déboussolés, en perte de repères. Jiale : gamin infernal, désorienté depuis la mort de son grand-père, en manque d'attention et d'affection ; Teresa : servante confrontée à un nouveau rapport de classes, femme déracinée, ayant laissé son enfant aux Philippines pour gagner de l'argent à Singapour, et qui devient peu à peu une mère de substitution pour Jiale ; Hwee Leng : la vraie mère de Jiale, jalouse de Teresa, énervée par le déclin financier de sa famille, vaguement désespérée, prête à croire n'importe quel bonimenteur médiatique prêchant la méthode Coué du développement personnel ; et enfin Teck : le père, qui perd son emploi, ne l'avoue pas tout de suite, perd aussi beaucoup d'argent à la Bourse, puis se fourvoie dans différents petits boulots... Quatre portraits assez fins, insérés dans une trame minimaliste mais bien tissée, jamais ennuyeuse. Au fil du récit, on songe de plus en plus à Yi Yi, du Taïwanais Edward Yang. Les deux films sont de jolies chroniques asiatiques, douces-amères, parfois cocasses, toujours pudiques, et animées par deux gamins qui ont chacun leur obsession : dans Yi Yi, le garçon ne cesse de prendre en photo la nuque des gens, pour leur montrer une partie d'eux-mêmes qu'ils ne connaissent pas ; dans Ilo Ilo, Jiale collecte les résultats du Loto pour trouver une logique, un ordre (dans un monde qui doit lui en sembler dépourvu).