Celui là, il nous vient de Singapour! Ca, c'est pas courant. Et, de Cannes, il a ramené une Caméra d'or plus que justifiée, tant il recèle de finesse, de délicatesse, d'émotion...
C'est donc une famille de la classe moyenne. Le père, Teck (Tianwen Chen) est cadre de vente, mais on voit qu'il a beaucoup de mal à vendre ses verres "incassables" (?). Il va être licencié, humiliation qu'il cache à sa famille, et ne retrouve qu'un emploi de vigile -humiliation supplémentaire... La mère, Leng (Yann Yann Yeo) est employée dans une société où on licencie à tour de bras. Bref, ce qu'on comprend, c'est qu'à Singapour aussi, c'est la crise!
Le couple a un marmot, Jiale (Koh Jia Ler) un affreux marmot d'une dizaine d'années. Insupportable en classe, feignant, indiscipliné, il ne sait que jouer avec son Tamagotchi, et compulser les résultats du loto, pour lesquels il monte des martingales... Tous les syndromes du pire des enfants uniques (mais une petite sœur s'annonce pour bientôt). On devine que les parents n'ont pas vraiment le temps de s'occuper de lui. Après la dernière convocation à l'école, les parents débordés décident de recruter une bonne (Teck ne sait pas encore qu'il va perdre son emploi). Terry (Angeli Bayani) arrive des Philippines, après avoir laissé son propre bébé au pays, une Philippine catholique (une voisine de galère lui dit: tu as apporté ton chapelet? Tu peux le ranger dans un tiroir, ici Dieu n'est nulle part). Phrase clé: dans ce petit Dragon, il n'y a de place que pour le travail, le fric, la productivité, et l'exploitation de l'homme. On n'est pas en Arabie Saoudite, mais on comprend que le code de travail, pour les employés de maison, est très flou.... Est elle mal traitée, Terry? Non, pas vraiment, ce ne sont pas de méchantes gens. Leng est généralement désagréable, mais c'est sa nature; sur cette jeune femme aussi, il y a trop de pression. Dans l'ensemble, Terry est bien traitée, elle dine à table, elle peut sortir très librement. Sauf que le petit monstre a décidé de lui pourrir la vie.... Jusqu'à ce que, finalement -et c'est exactement le thème du film- l'enfant s'attache à cette femme courageuse, droite, déterminée, qui lui porte plus d'attention que ses parents ne l'ont jamais fait. Mais les finances de la famille ne permettent plus de salarier Terry. Qui repart au moment de la naissance de la petite soeur, extraordinaire moment de bonheur et d'émotion, alors qu'on n'imagine même pas comment la famille va s'en sortir, avec le seul salaire de la mère et le bébé.
C'est la face cachée de la réussite économique du Sud Est Asiatique.... La face noire. La dureté de ce monde. Le film raconte beaucoup de choses avec une infinie simplicité. Comme ils nous ressemblent, ces gens de l'autre bout de la terre! On a, avec chaque personnage, une extraordinaire empathie. Ils restent avec nous.
Alors, pourquoi a t-on plus de fraternité pour les personnages du jeune Anthony Chen que pour ceux de, mettons, Grand Central... Pourquoi y a t-il dix fois plus de "vraie vie"? C'est sans doute ce qu'on appelle le talent.....