Parfois, le cinéma ne s’apparente en somme qu’à une simple expérimentation. C’est le cas de cet excellent film de Jeremy Saulnier, jeune cinéaste prometteur, s’il en est, qui livre ici un dur portrait d’une violence tant psychologique et physique. Détruit, accablé par le meurtre sauvage de ses parents, Dwight vit reclus, en marge d’une société qui lui fait peur. Lorsqu’il apprend que le prétendu meurtrier de son père et de sa mère est libéré d’une certaine prison d’état, celui-ci décide crument de se venger. Une première altercation ultra violente donne le ton à un long métrage qui ne se perd pas en temps mort, succinct alignement de séquences crues, réalistes et passionnante, techniquement. Jeremy Saulnier, ayant tout à prouver, tente l’approche intime, dans le sillage d’un personnage peu enjouant mais inconscient d’un déferlement de violence dont il est l’élément déclencheur.
Macon Blair, acteur inconnu du grand public, d’abord caché derrière une monstrueuse barbe puis rafraîchi en vue d’un retour chez lui, incarne l’homme que nous pourrions tous être. Tuer n’est pas chose aisée. Voilà bien quelque chose que nous apprend Blue Ruin, film expérimental qui renvoie simplement aux plus bas instincts de vengeance de notre espèce. Le tout est passionnant, sans attachement particulier, sans entournure grossière, sans émotion formatée. Le personnage de Dwight est en lévitation au-dessus d’un monde qu’il ne contrôle plus. Seule la vengeance compte. Le pourquoi du comment, certes justifié, n’importe que peu. L’atout est bien évidemment de contempler les malheurs induits par une telle folie. La dernière phrase prononcée par le protagoniste principal, très belle, illustre parfaitement le pessimisme du propos, son absurdité réjouissante pour le cinéma de genre à l’américaine, sous branche du cinéma indépendant.
La profondeur des scènes de violence est ici l’atout majeur de la réalisation de Jeremy Saulnier, ne faisant pas de l’acte de tuer un simple procédé irréversible mais bel et bien un moment de torture. Loin du professionnalisme héroïque ou diabolique très hollywoodien des personnages à facilement ôter une vie, ici, Dwight se heurte non seulement à l’apprêté de l’acte mais déclenche, aussi, involontairement, une cascade de violence qu’il ne pourra plus maîtriser. L’acte de vengeance accompli, voilà qu’en retour, quelqu’un veut en faire de même, et ainsi de suite. Sincèrement dur, le film de Saulnier, dont le titre, peu évocateur, colle parfaitement à une singularité du métrage, est une pénible mais délicieuse expérience de cinéma à dimension très humaine.
Voilà donc une nouvelle preuve que le 7ème art peut exister au-delà des budgets astronomiques voués à de grosses productions, souvent décevantes dans le fond. Parfois, l’huile de coude, le culot et l’inventivité, et surtout un fort humanisme, permettent l’avènement de ce type de productions, insolites, inédites et expérimentales, sans tomber dans la lourdeur d’un film d’auteur élitiste. Blue Ruin, ou comment la violence perd de sa superbe hollywoodienne pour devenir un véritable enfer. A méditer et à contempler. 16/20