Ila, femme au foyer indienne, élève sa fille et voie bien que son mari ne la regarde plus guère. Elle décide de partir à sa reconquête, aidée d’une mystérieuse voisine « Auntie ». La stratégie tourne autour de l’estomac ; tous les matins, elle lui prépare une lunchbox qu’un gigantesque service de livraison de Bombay livre à midi aux employés. Le soir, elle attend les compliments, mais rien ne vient. Les Dabbawallahs (livreurs), reconnus dans le monde entier pour leur absence d’erreur, n’ont pas livré le plat au bon client. Ila va alors débuter une relation épistolaire touchante et pleine de tendresse avec un homme qu’elle ne connaît pas ; Saajan. La gamelle va devenir une boite à lettres mobile éclairant le passé et les attentes des deux cœurs solitaires : un véritable ballet entre les deux protagonistes. Cette correspondance lente, d’un autre temps, est une véritable bouffée d’oxygène dans ce monde du numérique (mail et SMS) habitué à l’instantanéité. L’idée de cette correspondance est toute simple mais Ritesh Batra la magnifie.
Ce jeune réalisateur Indien tourne ici son premier film et dresse par de petites touches délicates un état des lieux de son pays. A Cannes, il a été très remarqué et pour cause. Il reprend les schémas classiques de la comédie romantique, mais apporte une touche d’humanité très singulière pour livrer un film délicat, sensible et profond. Sans artifice et effets, chaque détail sonne juste et dit beaucoup de la société indienne en pleine mutation dans ce Bombay fourmilière. Tous ces gens seuls dans la foule sont symbolisés par les deux personnages principaux, deux solitudes ; ce seront les deux seuls acteurs du film à être filmé à plusieurs reprises seuls dans le cadre. La foule est sinon omniprésente. Puis un troisième personnage va faire son apparition, Shaikh, qui doit être formé par Saajan en vue de son départ en retraite. Encombrant, menteur, superficiel ; difficile à cerner ; il va se révéler plus complexe qu’on ne pouvait escompter. Il est celui qui fait bouger les lignes d’une société indienne figée sociologiquement ; avec lui, la mutation de l’Inde est en route. C’est aussi un personnage léger qui entrainera le rigide Saajan vers des choix loin de son éducation. Ce trio porte une profondeur d’âme galvanisante. Et leur interprétation émeut à chaque instant, chaque regard et chaque silence ; et ils sont nombreux. Une belle alchimie entre ces trois entités. En terme de mise en scène, Batra use du hors champs : parfois comique (le running gag avec la voisine invisible qui prodigue des conseils de cuisine et d’amour), tantôt tragique (le suicide de la mère), et très souvent romantique entre les deux personnages jamais dans le même plan.
Ritesh Batra articule son récit autour de la reconquête de l’époux affairé par la cuisine. Cette dernière est reconnue comme un mode de rapprochement des êtres humains. D’où un regret devant tous ces plans magnifiques emplis d’amour lors de la préparation et la consommation des repas ; la 3D partout pour quelle plus value parfois ; l’absence d’odorama, ici, une frustration absolue.
A voir absolument… Un petit bijou indien loin du clinquant de Bollywood.