Amat Escalante est sans conteste un cinéaste pour lequel les pincettes n’existent pas, référence faite notamment au final profondément troublant, voire choquant, de son précédent Los Bastardos. Heli, son nouveau long métrage, récompensé à Cannes pour sa mise en scène, est le portrait se voulant analytique et pessimiste d’un Mexique à la fois rongé par la violence et par la corruption. Oui, ici, le cinéaste mexicain n’est pas venu pour louer les mérites de l’universel amour ni même pour se marrer, certain qu’il est que le cinéma d’auteur se doit dès lors d’utiliser la violence et l’émotion de dégoût qu’elle peut engendrer pour mieux faire passer son message de dénonciation, pour que sa critique sociale semble plus réaliste. Pour autant, est-ce nécessaire de faire subir à ses personnages maintes tortures, autant physiques et psychologiques?
Oui, c’est bien de cela dont il est question. Jeunesse désabusée qui croit malin de s’intercaler dans le monde diabolique du narcotrafic, voilà que les choses tournent mal, c’est un euphémisme, non seulement pour celui qui commet le larcin mais aussi pour tous ses proches, par procuration. Plus choquant encore, mais c’est une réalité sinistre, l’implication de la police dans cette abominable descente aux enfers. La corruption est sans conteste le mal le plus cinglant qui ronge l’état mexicain depuis de nombreuses années. Mais pas que. Amat Escalante tente par des moyens qui lui sont propres, la froideur, le pessimisme et la violence, de dresser un portrait qu’il pense juste de la classe malaisée de son pays d’origine. Si le metteur en scène s’était intéressé à l’immigration latine à Los Angeles, notamment, il en revient ici aux origines, en pleine contrée inconnue du pays de la Tequila, désert aride, oui, mais surtout déserté de toute compassion.
L’homme, chez Escalante, est une animal doué d’une certaine humanité, pouvant parfois ressurgir tout comme rester cachée au plus profond d’individus commentant le pire, par ignorance totale d’empathie. Si le propos est sensé, s’il est attrayant, le cinéaste n’en reste pas moins minimaliste, faisant danser le spectre des Cartels de la drogue, invisibles, sur la tête de ses personnages, pantins dans une spirale de violente décadence. Le réalisateur s’emploie à offrir l’enfer à ses protagonistes et les privant de toutes responsabilités, faisant d’eux des victimes funestes d’un système crapuleux, d’un univers malhonnête et puéril. Je pense là à une commissaire de police qui ne voit en sa jeune victime qu’une opportunité de se taper un petit jeune. Décidément, chez le metteur en scène mexicain, l’heure n’est pas aux réjouissances. En dépit de la force émotionnelle que peut engendrer un tel film, le réalisme choquant de ses scènes clefs, on ne semble qu’effleurer son potentiel.
Les longs plans évolutifs se succèdent. A ce titre, si la première séquence est habile, on peine par la suite à retrouver de l’inspiration dans la mise en scène d’Amat Escalante. Tout le monde s’endort jusqu’à la montée d’adrénaline que compose la livraison de deux gamins à une bande de voyous, qui s’en donneront à cœur joie pour les torturer. Il est donc triste, finalement, qu’un certain cinéma qui se réclame d’auteur, doit en arriver à choquer pour exister. Soyons francs, le cinéma d’Escalante, s’il fait parler de lui, s’est essentiellement du fait de sa violence primaire, de son approche inhumaine de situation sociale se voulant véridique. Le réalisateur n’est-il pas simplement un opportuniste qui voit en l’horreur perpétrée au Mexique par les cartels de la drogue un moyen de faire mousser son public? La question est pertinente. En tous les cas, nous sommes bien loin de l’excellence de Mateo Garone sur Gomorra, à titre de comparaison. 08/20