Une sorte de "Ronde" (Schnitzler) dans l'organisation, où le sang remplace le sexe (ce dernier n'étant qu'une éventuelle péripétie), pour un périple détonant au travers de la Chine, au scénario. Côté dramaturgie, c'est plutôt pas du tout européen (Schnitzler était autrichien), mais très chinois, tant par le récit, qui pour être contemporain est aussi très épique, voire outré, que par les intermèdes où le théâtre traditionnel surligne, moralise, et même conclut, un peu comme le choeur antique en Europe.
Cette étrange familiarité, conjuguée à un vrai dépaysement (pour le spectateur français) est l'atout principal, stylistique donc, du film de Jia Zhang ke - ce qui explique un Prix au dernier Cannes, du Meilleur scénario, tout à fait cohérent. Aux qualités littéraires du découpage, on ajoutera des qualités plastiques indéniables - les premiers plans, d'un accident survenu à un camion débordant de tomates, sont splendides, et donnent la tonalité générale à venir. La structure-même du récit, en "ronde", fait que l'on part d'un point A (un village minier sinistre dans le nord), et que l'on y reviendra à la fin, après avoir sillonné une bonne partie de l'ancien "Empire du Milieu", où le communisme toujours officiel comme ligne politique est conjugué de plus en plus aujourd'hui avec un capitalisme extrêmement agressif, s'accompagnant d'une grande corruption et de beaucoup de violence, y compris au premier degré, de sauvagerie (dont le film ne nous épargne rien). La logique du récit fait qu'il y a articulation en parties autonomes, mais se succédant logiquement grâce aux personnages, tour à tour anodins dans le récit A, pour être au centre du B, etc. Ce faisant, les parties ne sont pas toutes de la même force, de la même qualité, et d'argument, et de mise en scène. Les deux premières sont, pour moi, les meilleures - d'une intensité exceptionnelle - et le meilleur interprète, de loin, le "chasseur de bêtes", de l'affiche d'ailleurs, Wu Jiang alias Dahai. "A touch of Sin" inégale (d'où une notation seulement "très honorable", pour moi), mais à voir en tout cas.