A Touch of Sin (ah là là cette manie de traduire les titres de films chinois en anglais, alors qu'en chinois c'est tellement mieux : ??? Tian zhu ding) est un film de Jia Zhang Ke sorti le 11 décembre 2013.
Ce film est une sorte de recueil de quatre nouvelles d'une petite demi-heure chacune, toutes autour des mêmes thèmes : la pulsion de mort et l'aliénation par le travail. Still Life (2006) utilisait le même genre de construction.
Dahai cherche à mettre à jour la corruption du chef de son village et du patron de la mine (je me suis dit devant ce passage que c'était une sorte de Kill Bill réalisé par un Ken Loach chinois) ; San’er est une sorte de psychopathe (c'est l'histoire qui m'a le moins intéressé – mais je suis peut-être simplement passé à côté – même si elle décrit aussi une banalisation du mal assez frappante) ; Xiaoyu, hôtesse d’accueil dans un sauna/maison de passe, subit le harcèlement de ses clients ; le jeune Xiaohui enchaîne des boulots miteux et mal payés...
La forme de la nouvelle adoptée par Jia Zhang Ke est un poil frustrante : on aimerait parfois qu'il prenne plus de temps pour développer les intrigues, pour aller plus dans la profondeur des personnages. Ça donne une certaine âpreté, une sécheresse, au film, qui est largement compensée par la beauté formelle : les cadres, les lumières, la photo, la mise en scène, tout est magnifique et proche de la perfection.
Les décors du film, situé dans des villes sales et moches, dans des campagnes pauvres et dans des espèces de banlieues périurbaines délaissées, voire carrément à l'abandon, sont assez incroyables. Ils disent beaucoup de la Chine contemporaine, presque autant que le scénario lui-même.
Vous l'avez compris, ce film est loin d'être joyeux. Il décrit une Chine triste, mortifère, abrutissante, prise en étau entre un reste de communisme autoritaire, de corruption à plusieurs niveaux et un capitalisme sauvage et destructeur. Et surtout, une Chine très violente : violence des rapports sociaux, de la précarité, des rapports de domination entre patrons et employés, et surtout entre riches arrogants et pauvres délaissés, et violence de la pulsion de mort, envers autrui ou soi-même. Deux des histoires évoquent la prostitution et la violence de la consommation du corps d'autrui et de la domination qu'il induit. Ici, d'une certaine façon, la seule échappatoire, le seul espoir, c'est la folie.
Cette noirceur (et lucidité, sans doute, mais noirceur quand même) est certainement liée au fait que Jia Zhang Ke est un cinéaste qui, disons, n'est pas en odeur de sainteté (A Touch of Sin est plus ou moins interdit en Chine). Quitte à être censuré, autant y aller à fond.