Je considérais jusque-là Jia Zhangke comme un grand cinéaste pour tout un tas de raisons diverses et variées, dont notamment un profond esprit d'analyse d'une situation, et cette faculté de pouvoir la retranscrire de manière calme, lente, subtile (enfermée dans des banalités quotidiennes). En ce sens, pour un cinéaste qui dépeint la vie sociale chinoise, il parvenait à inscrire cette idée dans des films logiquement longs, du moins pour ce que ça veut représenter (entre 1h45 et 2h30), là où l'ennui peut parfois faire son apparition. Mais j'admirais, en plus de mille et une choses, la venue du récit, le calme olympien qui ressortait de ses films, la qualité d'écriture qui mélangeait ce qui "devait" compter ou non (et même faire modifier cette perception selon le ressenti du spectateur).
A Touch of Sin, c'est strictement l'inverse. C'est bâclé (4 histoires en 2h10, certaines - notamment la première et la dernière selon moi, les 2 du milieu étant les "plus" réussies - sont tout sauf crédible), un déferlement d'action, sur le papier compréhensible, sur l'écran bien moins convaincant, et un point de vue global sur la Chine, qui certes me paraît dans de grandes longueurs réaliste, mais se retrouve enfermé dans une série d'histoires qui elles ne le sont pas et me paraissent déjantées.
Alors Jia Zhangke s'est peut-être dit qu'il ne fallait pas faire passer ses héros qu'en victimes (cf les 2 premières histoires où le déchaînement de violence est nuancé par l'extravagance du procédé), et de ce côté c'est peut-être pas bête de ne pas se cantonner à une opposition manichéenne basique, ceci étant cela n'explique pas tout. Déjà la première histoire, totalement bâclée et pourtant longue, est une caricature de ce que ça veut montrer. Alors je me répète il a sûrement cherché à équilibrer les rapports de force, néanmoins je suis scandalisé par l'évolution de l'histoire, la facilité d'absence de psychologie de personnages, là où pour un état d'esprit humain Jia Zhangke nous proposait 2h de film ici il nous présente un état d'esprit inhumain - dont la transition est affligeante niveau clichés - en 35 minutes approximativement, et il le fait 4 fois. (allez 3, la dernière c'est particulier
Manifestement, Jia Zhangke ne sait pas faire un film où il veut à tout prix imposer une idée au spectateur, et de manière aussi brutale. A Touch of Sin est un film pour Cannes, même s'il est pas nouveau au festival je crois, déjà pour ce côté "imposer une idée" - ce qu'il faisait bien plus subtilement auparavant, sans question de la violence, car le dérèglement de la Chine n'est pas qu'une question de violence, pis même avant Jia Zhangke s'intéressait aux causes, maintenant il affirme les conséquences (la violence), il facilite le propos je trouve et se détourne du réel questionnement - c'est très "occidental" comme point de vue.
Il a toujours fait ça, oui, mais de bien meilleure manière auparavant, là c'est prémédité de A à Z, les personnages sont peu réalistes - en réalité seule la deuxième histoire m'a convaincu - car on vogue dans des situations extrêmes, et vouloir extraire de cet extrémisme un "état de santé de la Chine", non, en tout cas Jia Zhangke le fait depuis 15 ans bien plus fort, beau, et moins sanglant.
S'il veut montrer comment ça se passe et prouver que certains éléments de son film sont vrais, qu'il fasse comme Wang Bing et Zhao Liang, des documentaires, et là ça irait. Mais ici, en plus de servir une histoire peu réaliste sur le fond, il renie toutes ses évolutions formelles de Still Life !! Formellement c'est même pas beau, et comme il ne fait plus durer ses plans (comme il faisait à ses débuts) mais adopte un style plus rapide - pour servir le fond - c'en est presque banal d'un point de vue esthétique...
Bref, de tous les côtés, un grand ratage, dur à avaler pour ce que j'attendais comme l'un des films de l'année.