[Scénario: 3/5]
Intéressant, bien que mystérieux, "A Touch of Sin" nous promettait par sa bande-annonce de découvrir la Chine contemporaine au travers de 4 portraits, 4 personnes, 4 destins. Alors certes, l'histoire est complètement brute de décoffrage, ce qui est peut-être critiquable, mais c'est justement l'absence de contenu romancé qui va permettre cette effroyable sensation de réalisme et questionner nos esprits occidentaux sur ce qu'est vraiment la Chine d'aujourd'hui.
[Mise en scène: 5/5]
Une mise en scène brillante ! Bien que plutôt lent et hermétique au premier abord, "A Touch of Sin" réveille petit à petit la bête qui sommeille en lui. Le choix de présenter le film sous forme de quadriptyque, mettant en scène successivement différents personnages m'a beaucoup plu et m'a fait penser à "The Place Beyond the Pines" de Cianfrance dans son approche scénaristique.
La force de Jia Zhang Ke, dans tous ses films et d'autant plus ici, c'est son besoin de retranscrire les choses telle qu'elles sont, imparfaites, défaillantes, cruelles, choquantes, mais authentiques !
"A Touch of Sin" dresse donc au travers de ses 4 personnages le portrait de la Chine contemporaine, une Chine en pleine expansion économique, une urbanisation croissante, un développement exponentiel des infrastructures mais aussi un aspect auquel on pense moins souvent: une Chine qui régresse complètement culturellement et où les valeurs et le respect des traditions de l'ancienne génération laissent place à l’égocentrisme et à la quête de l'enrichissement par tous les moyens qui soient. Face à l'accroissement des inégalités qui devient de plus en plus flagrant, le désespoir des masses populaires ne laisse plus que 2 options: l'impuissance conduisant à accepter avec beaucoup de fatalisme que la situation ne peut être changée, ou la révolte conduisant à l'escalade de violence et à la criminalité.
[Acteurs: 4/5]
Wu Jiang joue Dahai, un mineur a bout, exaspéré par la corruption de ses patrons. Wang Baoqiang est San'er, un travailleur migrant et jeune père de famille qui gagne sa croûte à l'aide son revolver. Zhao Tao est Xiao Yu, réceptionniste dans un sauna, sans mari, sans avenir, poussée à bout par le harcèlement d'un riche client. Luo Lanshan est Xiao Hui un jeune homme enthousiaste qui se heurte à l'injustice, à la déception, enchaînant les petits boulots dans une précarité grandissante.
4 acteurs très justes dans leur interprétation, leurs personnages vivent dans des contextes très différents, d'ailleurs tous sont issus de provinces différentes, mais chacun va pour différentes raisons en venir à la même conclusion: pourquoi continuer à être humain alors que tout le monde autour d'eux cède à son instinct de bête primitive ?
[Photographie: 4/5]
Le réalisateur chinois se révèle ici encore, son rapport à l'image est exceptionnel: dans chaque plan, chaque cadrage et dans cette incroyable lumière on retrouve une intensité extrêmement puissante qui tranche avec l'austérité du scénario et la lenteur du rythme de la mise en scène. Les décors naturels sont aussi très présents et peuvent être considérés comme personnages, comme témoins du changement qui s'opère aujourd'hui en Chine. Dernier point intéressant à noter: la présence de certains éléments hautement symboliques comme le tigre que l'on retrouve à plusieurs reprises dans le film...
[Bande Originale: 3/5]
Bon je ne suis pas un grand fan des choix de Jia Zhang Ke concernant la BO de son film (beaucoup de chants traditionnels et d'airs d'opéra chinois) mais je comprend l'idée de vouloir une fois de plus contraster les éléments visuels et scénaristiques de l'intrigue censés évoquer la modernisation, l'avancée économique avec des aspects plus traditionnels, plus authentiques, que l'on retrouve donc dans les éléments sonores mais aussi visuellement avec notamment la scène de l'opéra.
[TOTAL: 3,8/5]
Au travers de son dernier film, "A Touch of Sin", Jia Zhang Ke s'attache à révéler les travers de la société chinoise d'aujourd'hui. Une société dont le progrès économique n'a pas d'égal que sa dégénérescence culturelle. En effet le pays se modernise, des routes et des ponts sont construits, les petits patrons locaux qui il y a dix ans roulaient en voitures de luxe deviennent de grands patrons à l'échelle internationale et voyagent désormais en jet privé. Malheureusement ce que la nation gagne d'un côté, elle le perd de l'autre, ainsi on assiste à un amenuisement des valeurs, une chute dans le respect des traditions et une aliénation des masses populaires dont la situation n'a guère changée et qui se retrouvent à vivre dans un pays aux mutations tellement grandes qu'il leur devient peu à peu étranger.
Jia Zhang Ke dresse donc un portrait relativement pessimiste de la Chine, et pourtant on arrive à sentir un véritable amour du réalisateur pour son pays, une volonté de s'exprimer pour faire enfin changer les choses.
Malheureusement "A Touch of Sin" est un très bon film dont le public chinois devra une fois de plus se passer, sa diffusion n'ayant pas été autorisée par la censure dans les salles obscures chinoises.