En deux ou trois plans, le décor est planté. Une jeune fille s'isole dans un endroit discret, se coupe les cheveux, puis comprime sa poitrine dans un bandage. Une casquette sur la tête et voilà : elle ressemble à s'y méprendre à un garçon. Un autre plan nous montre un jeune garçon préparant son sac à dos pour un voyage. Enfin un autre plan sur une immense décharge à ciel ouvert et sur ceux qui cherchent à y récupérer ce qu'ils peuvent et l'on comprend : les deux personnages que le réalisateur nous a rapidement fait découvrir ont pris la décision de partir, de fuir la misère, de vivre une autre vie, d'aller vers le Nord, loin de leur ville du Guatemala, aux Etats-Unis, à Los Angeles.
Juan, Sara, et un troisième comparse qui n'aura pas le courage d'aller jusqu'au bout du voyage, entreprennent donc ce long périple, incapables d'imaginer à quoi ils vont s'exposer. Ils trouveront sur leur chemin un compagnon inattendu, un Indien du Chiapas nommé Chauk qui s'attachera si fort à eux qu'il ne voudra plus les lâcher. Pourtant, si Sara accepte volontiers sa présence, il n'en est pas de même du côté de Juan qui n'éprouve que mépris pour ce « sale Indien » qui ne parle pas un mot d'espagnol. A plusieurs reprises, Juan essaie de se débarrasser de ce gêneur, mais en vain.
Les voilà donc emportés dans un voyage semé de multiples embûches. Semblables à tous les migrants, ils empruntent des trains de marchandises déjà surchargés de squatteurs. Et comme tous les autres, ils vont être en butte aux pires dangers : quand ce ne sont pas des policiers corrompus qui les volent, ce sont des bandes armées qui brutalisent et dérobent aux migrants le peu qu'ils possèdent. Heureusement, le scénario ménage aussi quelques moments de répit, ainsi quand nos comparses affamés volent une poule mais se trouvent bien embarrassés quand il s'agit de la tuer, ou quand, dans une bourgade, les migrants sont accueillis par un prêtre qui les nourrit et leur offre un gîte pour la nuit.
Le danger, cependant, n'est jamais loin : il faut poursuivre le voyage au milieu d'un paysage qui, s'il est de toute beauté, cache néanmoins de nombreux êtres sans scrupule. Juan, Sara et Chauk, parviendront-ils à traverser le Guatemala, puis le Mexique, et enfin à franchir la frontière des Etats-Unis ? Comment évolueront les relations tendues entre Juan et Chauk ? Quand on affronte les mêmes périls, les préjugés raciaux ne finissent-ils pas par tomber ? Et qu'adviendra-t-il de Sara déguisée en garçon ? Autant de questions auxquelles le film répond, entraînant le spectateur dans une suite de scènes toujours justes et parfois inattendues. La violence est extrême, mais ce monde de violence génère des surprises, des solidarités étonnantes et même des conversions. Le salut, s'il y a un salut, ne peut venir que de la fraternité.
Ancien assistant de Ken Loach, Diego Quemada-Diez a conçu un film à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, une œuvre rude, âpre et bouleversante. On ne peut oublier ces jeunes gens fuyant la misère de leur pays, rêvant des Etats-Unis et de la vie meilleure qu'ils sont sûrs d'y trouver, parcourant des centaines de kilomètres entassés sur des trains et subissant les pires tribulations. Quant au dénouement, il risque d'être aussi implacable que ce qu'ils ont connu au cours de leur périple. Pour son premier long-métrage en tout cas, Diego Quemada-Diez a réussi un coup de maître. Remarquablement filmé et superbement mis en scène, son film nous prend littéralement aux tripes ! 8,5/10