Un cas d'école. "Sarah préfère la course" a tous les attributs du film français détestable. Parcours initiatique post-adolescent, découverte de l'amour et de la sexualité, le tout incarné par une jeune athlète immergée dans un milieu sportif provincial et qui rêve de monter à la capitale. Exactement le genre de truc que je me plais à déchiqueter systématiquement tellement ça pue le formatage "jeune cinéma subventionné" par ici. Sauf que là, ça se passe au Québec, la réalisatrice et les comédiens sont canadiens et (presque) tout est réussi, intrigant, subtil, passionnant. A quoi ça tient ? Précisément à ce sentiment d'un complet affranchissement du moindre formatage. A aucun moment on a le sentiment d'être devant un téléfilm labellisé Pôle Image Gaspésie. On n'est pas chez Katell Quillévéré (Un poison violent, Suzanne), ni chez Rebecca Zlotowski (Belle Epine, Grand Central), encore moins chez Celine Sciamma (l'atroce "Naissance des pieuvres"), malgré la proximité des thèmes abordés. Chloé Robichaud se démarque d'abord par son style, qui s'impose dès les premiers plans. Cadres, mouvements d'appareil, lumière : tout un univers visuel est posé instantanément, marque qu'une cinéaste d'envergure est née, dont les influences sont plutôt à rechercher du côté de Gus Van Sant que de Pialat. La bande-son est tout aussi soignée, on commence par entendre The Dead Texan, plus loin ce sera Alt-J, la demoiselle a du goût et sait sculpter ses ambiances en puisant aux meilleures sources, contrairement à nos gloires nationales qui tartinent le plus souvent leur BO de musak épouvantable ("Naissance des pieuvres", encore). Et puis il y a Sophie Desmarais, révélation du film, visage de petit animal farouche éclairé par les deux yeux exorbités qui plissent ses paupières, visage-paysage où se lisent toutes les nuances des états d'âmes de son personnage compliqué, à des années-lumières de nos boudeuses monolithiques Léa Seydoux ou Adèle Haenel. A quelques lignes de dialogues près (avec le personnage de la mère, ma seule réserve), l'écriture est parfaite, on se laisse entrainer dans les méandres imprévisibles de la vie de Sarah jusqu'à un final magistral. Foncez le voir quand il sortira en France début mai.