Ne connaissant pas la bande dessinée éponyme sur laquelle "Lulu femme nue" s’appuie, mon commentaire s’en tiendra à ma seule perception. N’attendez donc pas de moi que je donne un quelconque avis par rapport à la qualité de l’adaptation. D’autant plus qu’à la base, j’ignorais totalement qu’il existait une BD du même nom. En toute logique, c’est sans aucune attente particulière que j’ai regardé le cinquième long métrage de Solveig Anspach, préférant regarder un programme inédit pour moi alors que bon nombre de chaînes télé proposaient des films que je connaissais déjà. Que dire si ce n’est que je n’avais même jamais entendu parler de ce film ? Et pourtant, j’estime que c’est un très bon film, parce qu’il parle d’un sujet bien réel : la crise de la quarantaine. La fameuse crise de la quarantaine. Celle que bon nombre de quadragénaires actuels ou passés subissent ou ont subi de plein fouet. Cette fameuse crise qui parait plus ou moins légendaire pour ceux qui ne sont pas encore arrivés à cette période « charnière ». Oh je ne dis pas que tout le monde la subit obligatoirement, mais la plupart y a tout de même droit. Quoiqu’il en soit, quand elle vous arrive dessus, vous ne pouvez pas faire grand-chose pour l’éviter. Pourquoi ? Eh bien lorsqu’on arrive aux 40 ans, qu’on soit homme ou femme, on est par définition à la moitié de sa vie. Pour les uns, ce sera un vif besoin de se prouver qu’on peut encore plaire, pour d’autres ce sera une multitude de questions qui viendront tourmenter l’esprit. « Qu’ai-je fait de ma vie ? », « Ai-je mené la vie dont je rêvais ? », « Quel est mon avenir si je continue ainsi ? », « Est-ce cela le bonheur ? » « Suis-je heureuse (ou heureux) ? », etc etc… Le genre de questions qu’on ne se pose pas quand on se soumet à une vie « normalisée » par le mariage et le fait de devenir parent. Et le genre de questions qu’on se pose quand on arrive au crépuscule de son rôle de parent et à la veille de reprendre une vie d’adulte, autrement vivre pour soi, se sentir exister. Pour résumer, c’est une période durant laquelle les doutes s’installent, où le bilan de sa vie prend forme, aussi bien dans ce qui est passé que dans les attentes. Sans forcément mettre des mots dessus, c’est exactement ce dont parle ce film, à travers le portrait de Lucie (Lulu pour les intimes), femme au foyer qui se sent le besoin de sortir de la routine de son foyer en cherchant un boulot. Le focus se fait donc très rapidement sur cette femme, interprétée par une Karine Viard en mode stratosphérique pour ce rôle : une femme éteinte, à la personnalité noyée dans un profond sommeil (pour ne pas dire ennui). Nous la retrouvons à l’instant même où elle s’apprête à passer un entretien d’embauche. Seule la nervosité l’accompagne… pour lui ruiner l’entretien. Un entretien qui se termine sur des mots assassins
à propos de sa tenue
. Puis des mots de trop (Patrick Ligardes en mari détestable à souhait, autant par téléphone que par ses actes et sa présence physique) quand elle rend compte de cet entretien, ces mêmes mots qui vont provoquer involontairement le reste de son errance somme toute provoquée par des signes concrets du destin
(tergiversations, train raté, stage imprévu dans un hôtel sordide, perte de son alliance…)
. Une accumulation de faits anodins qui emporte cette femme réduite à l’ombre d’elle-même, dont l’initial provoque une immense désillusion dans laquelle elle se perd. Ces faits vont la conduire les bras ballants sur le chemin de la reconquête de son identité et de ce fait de sa reconstruction au gré des rencontres qui vont se présenter à elle. Cela illustre parfaitement l’expression suivante : « quand on touche le fond, on ne peut que remonter ». Sauf qu’elle ne le sait pas. Pas encore. Elle sait seulement qu'elle doit prendre le temps. Les rencontres vont être de véritables bouffées d’oxygène, des fenêtres qui s’ouvrent devant elle pour laisser glisser sur elle un air frais qui fait du bien, de la même façon qu’une légère brise vous caresse le visage et les cheveux quand on est par exemple en bord de plage. Qui n’a pas vécu ces doux moments de retraite, ces moments à soi et rien qu’à soi, ces moments privilégiés seulement réservés à notre propre réflexion ? Tout cela est parfaitement rendu : par les mots qui ne viennent pas, par le regard qui se perd sur l’horizon sans fin de l’océan Atlantique, par ces incertitudes, par cette carapace qu’elle se construit en mentant sur sa condition… Karine Viard est formidable. Par son jeu au visage fermé, elle représente à la perfection une âme perdue, K.O. debout, hébétée, pas trop dégourdie, naïve, en somme une femme en détresse qui se laisse porter par les événements en les prenant comme ils viennent, quelquefois avec un sourire maladroit. Mais quel sourire ! Indubitablement, le spectateur ne peut que s’attacher à elle. Sa détresse est perceptible, sa sensibilité à fleur de peau. Mais l’accumulation des petites mésaventures vont la conditionner sur la route tortueuse de ses retrouvailles avec elle-même. Il est clair que l’actrice porte carrément le film sur les épaules, ce qui est la rançon d’un film centré sur son personnage. Et ce n’est pas parce qu’on l’aperçoit une-deux secondes tout au plus dans son plus simple appareil que je l’intègre dans mes stars favorites. Non, c’est parce qu’elle sait faire beaucoup de choses. Il n’y a qu’à voir les différents rôles qu’elle a eu, que ce soit dans "Rien à déclarer", "La famille Bélier", ou encore "Ma part du gâteau" : elle sait exprimer beaucoup de choses. Mais il serait injuste de ne pas parler de Bouli Lanners. Lui aussi s’est mis au diapason. Dans son regard, il fait passer énormément de choses. Ces choses sur lesquelles on n’a pas besoin de mettre des mots. Le langage du corps finit de compléter toute l’expression de son personnage. Pour ainsi dire, on sent l’osmose opérer entre lui et Karine Viard. Les regarder est un régal. Et c’est là que réside le principal coup de génie de la réalisatrice : elle permet au spectateur de les observer de l’intérieur… et de l’extérieur, comme si elle le positionnait en espion. A côté de cela, de l’humour a été intégré par les deux anges gardiens accrochés aux basques de leur frérot. Deux bonhommes qui se veulent être des gardes du corps, mais pétochards comme pas permis. Ils sont parfois savoureusement agaçants, mais à leur manière ils sont touchants. Bravo à eux, bravo à leurs interprètes Pascal Demolon et Philippe Rebbot. Et puis nous avons le plaisir de retrouver avec grand plaisir la regrettée Claude Gensac, l’éternelle « biche » de Louis de Funès. A 86 ans, elle avait toujours le feu sacré dans ses yeux, toujours cette étincelle qui rendait son regard pétillant que les outrages du temps n’auront pas réussi à ternir avant son décès dans la nuit du 26 au 27 décembre 2016. Et puis le film se termine comme si on laissait place à l’intimité. Ma foi, je crois que cette intimité a été bien méritée. Donc oui, un film que je recommande particulièrement, notamment à ces personnes empêtrées dans le grand marasme de la crise de la quarantaine. Vous n’êtes pas seules, loin s’en faut. Le vrai message du film prône le respect de l’autre, l’existence de sa propre identité. Sinon, c’est l’étouffement assuré… et la possibilité d’une véritable cata. Je crois que c’est ça la recette du bonheur… Et le message passe d’autant mieux que rien n’a été surfait, rien n’a été romancé, et que la majeure partie du film se fait sans musique, quoique les notes de Martin Wheeler viennent tout de même accompagner efficacement quelques scènes. "Lulu femme nue" : un film utile ? Il semblerait bien que oui.