L’histoire qui nourrit le scénario de « Lulu femme nue » (une femme qui décide enfin de tracer sa propre route) rend la comparaison avec le récent « Elle s’en va » évidente. Néanmoins, dans le film d’Emmanuelle Bercot, Deneuve était forte, belle, déterminée par des années d’ennui. Ici, Viard est fragile, hésitante, presque renfrognée. Son personnage est habilement calibré pour coller à un stéréotype provincial profondément glauque, jusque dans sa tenue vestimentaire et dans ce petit sac à dos, symptomatique de la post-quarantenaire de classe moyenne. Quand Deneuve cherche, Viard fuit. Elle fuit une vie triste à mourir, l’animosité du monde qui l’entoure, la brutalité de son mari, et même son propre comportement de mère effacée, généreuse et accommodante à s’en gâcher la vie.
Il y a certes quelques problèmes dans ce film. Certaines scènes sont un peu longues (au bout de la huitième voiture qui passe sans s’arrêter, on a compris qu’elle en chiait pour faire du stop), et surtout deux seconds rôles (les frères de Charles) donnent lieu à des scènes irritantes au possible. Etait-il envisagé de faire deux rôles de débiles légers (et, à ce moment-là, quel en était l’intérêt ?) ou a-t-on vainement essayé de rajouter une note cocasse à un film noir qui n’en avait pas besoin ?
Mais la mayonnaise prend. La mise en scène est soignée, les répliques sont d’une justesse épatante, et le séquençage du film en quatre volets (la fuite, l’amour, l’amitié, la consolidation) rythme le déroulement de l’histoire et empêche tout ennui. La réalisatrice est épaulée par une Karine Viard absolument époustouflante, et par des seconds rôles réjouissants incarnés par des actrices dont on ne se lasse pas (Corinne Masiero, Claude Gensac). L’ensemble nous drape dans une tristesse tantôt douce et sensible, tantôt extrêmement brutale. Et la banalité de l’histoire initiale se retourne progressivement sur le spectateur comme une gifle en pleine figure, qui nous oblige à replacer l’affirmation de soi comme unique moyen d’enfin arrêter de subir.