Vingt-trois ans après son dernier long-métrage, période qu’il a majoritairement occupée à développer son talent pour la bande dessinée, Alejandro Jodorowsky retourne au cinéma pour livrer une œuvre autobiographique belle et puissante. Plus accessible que certains de ses précédents films grâce à sa narration linéaire, "La Danza de la Realidad" témoigne de l’attachement du cinéaste à son enfance douce et tragique qu’il s’amuse à recréer ici magistralement. L’univers mis en scène est déjanté, regorgeant de trouvailles dont on peine parfois à déterminer la véracité. Cependant, si ce monde délirant semble bien éloigné d’une quelconque réalité, on prend ces informations telles que le narrateur nous les donne et on accepte sans sourciller la philosophie du maître, celle qui lui vient à l’esprit alors qu’il pense au suicide : si la vie doit s’achever dans la mort et l’oubli, chaque individu disparaissant à jamais de la mémoire des générations futures, on peut considérer que toute existence n’est qu’un rêve dont on doit profiter au moment où il intervient ; en un mot, vivre. De ce point de vue, le principe de réalité objective est bien amoché et il semble logique de pouvoir réinventer à sa guise un passé qui finira de toute façon par être oublié.
La jeunesse revisitée d’Alejandro ressemble ainsi à un bric-à-brac poétique d’où la grâce parvient toujours à émerger malgré la cruauté omniprésente. De nombreux thèmes chers à l’auteur sont aussi abordés : la relation père-fils basée sur un respect qui se fonde sur la résistance à la douleur (cf. "El Topo", "La Caste des Méta-Barons"), le dévouement à une puissance supérieure réclamant une foi à toute épreuve ("L’Incal"), la force de l’amour-passion ("John Difool avant l’Incal", "La Caste des Méta-Barons") ou encore l’élévation grâce à l’enseignement d’un maître ("El Topo", "Bouncer", "John Difool avant l’Incal", "La Caste des Méta-Barons", voire toute son œuvre). On retrouve de même son engouement pour les marginaux, qu’ils soient nains, amputés, pestiférés ou tout simplement illuminés (mais c’est le cas de la plupart de ses personnages). Quoi qu’il en soit, au crépuscule de sa vie, Alejandro Jodorowsy signe un nouveau chef-d’œuvre qui conforte un peu plus son statut de grand maître du surréalisme contemporain et source d’inspiration majeure.