Alejandro Jodorowsky, dit "Jodo", écrivain et auteur de BD prolifique, et cinéaste occasionnel, 84 ans, revient dans son Chili natal (quitté à l'âge de 24 ans dans la "vraie vie") pour y réaliser un de ces opus étranges dont il s'est fait une (parcimonieuse : 7 films seulement en 45 ans) spécialité cinématographique : "La Danza de la Realidad", qui tient plus de la Danse macabre que de la "Réalité". Il s'agit d'une autobiographie fantasmée, mettant en images un court moment de son enfance : on le voit jeune garçon ("Alejandrito"), avec ses parents, Sara (Pamela Flores) et Jaime (c'est son fils Brontis qui joue le rôle), et en narrateur, partie qu'il incarne lui-même. Il s'agit bien d'une (re)contruction de ses souvenirs, déjà parce que les dates ne concordent pas : ainsi il est né en 1929 et le président Carlos Ibáñez del Campo quittera le pouvoir en 1931 - démission (de retour démocratiquement au pouvoir de 1952 à 1958 - Jodo s'expatriant pour sa part en 1953....) - l'histoire le présente âgé d'une dizaine d'années, et Ibáñez, encourageant les nazis locaux, chassé par les communistes (le Front Populaire, ce sera au Chili en 1938 seulement, et par les urnes). La Grande Dépression a bien cruellement touché le pays, y causant des ravages économiques et sociaux, comme montré par Jodo, mais la ressource industrielle principale de l'époque est encore le nitrate, et non le cuivre (dont l'exploitation intensive précède de peu la Seconde Guerre mondiale). Tocopilla n'avait avant-guerre qu'une petite fonderie de cuivre, et vivait essentiellement de ses activités portuaires (exportations de guano et salpêtre surtout). Etc. "La Danse de la réalité" fut d'abord un livre, que son auteur adapte pour le grand écran (2 h 10).
Jodo livre un récit d'apprentissage où le réalisme (antiphrase du titre) a donc une part congrue - l'onirisme, voire l'ésotérisme et le mysticisme, la symbolique (notamment sociale) et le militantisme y ayant eux la part belle. Alejandrito est élevé à la dure par un père brutal et autoritaire, que Jodo réinvente, pour lui donner un destin quasi-christique, au fil d'événements picaresques le conduisant sur le chemin (tortueux) de la rédemption. Il développe de nombreux thèmes à cette occasion, dont celui de l'amour sous toutes ses formes (dont l'amour maternel - celui de Sara aux rondeurs felliniennes, qu'il fait s'exprimer uniquement en Bel canto, et l'amour conjugal de celle-ci pour Jaime - séquence étonnante d'ondinisme qui guérit), et l'exclusion multiforme (d'abord celle du clan Jodorowsky, fait de juifs ashkénazes ayant fui les pogroms de Russie).
Il y a de bonnes choses, des trouvailles visuelles notamment, mais c'est souvent filandreux, boursouflé, redondant, voire brouillon. Pas au-delà du "pas mal", pour moi, car accrochée (et mieux, séduite) que par intermittences.