Voici un cinéaste qui ose s'affranchir des impératifs commerciaux liés à l'industrie du cinéma pour lui rendre certaines de ses plus belles lettres de noblesse. Ici l'image appelle l'imaginaire, et des sensations quasi organiques s'instillent chez le spectateur. Film où l'atmosphère est aussi tendue que poétique, au sens fantastique du terme. Film ouvert à la rêverie, où l'on n'en finira pas de chercher du sens à travers symboles et signes, ellipses et zones d'ombre. Un film qui échappe à toute captation définitive, un film déroutant et âpre, où la dureté des situations est contrebalancée par des lumières très douces et un montage assez fluide.
Il est question de voyage, mais c'est à un voyage mental, presque onirique que le spectateur est convié. Un crime a été commis. Il est question de chiffre magique, le 7 des couleurs de l'arc-en-ciel, des notes de l'octave. Nous sommes plongés dans un monde étrange, où rien ne semble solide, où le danger tourne tel un corbeau. A travers des signes discrets et fugaces, « Midnight Globe » évoque le monde des aveugles et des sourds-muets. Mais, emporté dans un flux d'images aux charmes incisifs, envahi de sensations puissantes, dérangé dans son interprétation, le spectateur se met lui aussi à voyager dans son cerveau. Car ici toutes les couches s'entremêlent en une sorte de puzzle invisible.
Quant aux qualités esthétiques du film, elles manifestent leur évidence : cadrage, lumières, arrière-plan soyeux et presque mystique (ce Mont St-Michel la nuit, joyau parlant au ciel limpide!), musique discrète et soyeuse. Des acteurs tous en place, crédibles et même habités. Et quelle atmosphère, où le polar exhale son haleine, dans la salle de jeu où se menacent les prétendants au pouvoir du Maître.
Il y a au moins deux genres de films, très typés : ceux qui, de plus en plus rares hélas, sollicitent l'imaginaire et l'intelligence, quitte à malmener le spectateur. Ils font de lui un homme sensible, et le ramènent à l'homme sensé, à travers des chemins insensés et des espaces ardus. On en sort habité d'une sensation bizarre, quelque chose a changé, le monde semble avoir tourné, et tout redevient vivant.
Et, aux antipodes de ce type de film, il y a ceux où tout est montré, pré-pensé, je dirais déjà digéré. Le spectateur en sort groggy, presque saoul, il a eu son compte, c'est ce qu'il venait chercher. Mais là le cinéma stagne. Or un art qui n'avance pas est un art qui régresse, se contentant de ronfler.
J'ignore ce que le cinéma deviendra, mais Hollywood le menace, dans ce qu'il a de créatif. Les blockbusters prennent tant de place. Par chance, le public s’essouffle. C'est qu'il a faim de films vivants, vivants de l'âme de leur créateur.
Ce Globe de minuit est une nourriture pour le corps, comme il l'est pour l'esprit. Malgré le seul défaut que je lui trouve : son dénouement, hommage à Helen Keller, qui m'a semblé artificiel, plaqué et comme parachuté afin de rendre de l'intelligible là où le fantastique régnait, avec ses précieux alliés : le songe, l'insolite et la cruauté.
Un détail sans gravité pour un cinéaste avec lequel nous devrons compter, lui qui a sa manière de conter ce qui est peut-être irracontable, et que je salue pour toutes ses ardentes qualités.