Malgré sa brièveté, "Dumbo" est un film d’envergure. Son propos est simple, celui d’une fable : un éléphanteau pourvu de grandes oreilles est rejeté par les siens, mais il va faire de son handicap une force. Sur le papier, cela semble très moralisateur et un peu niais, mais les premières productions Disney utilisent souvent un schéma directeur similaire, peu original au premier abord et pourtant parfaitement juste et réussi lors du passage à l’écran. Ici, l’extrême délicatesse du film permet à cette alchimie de naître : les premières images, celles du vol des cigognes, indiquent la naïveté enfantine qui sera omniprésente par la suite. On a droit à quelques chansons et des portraits d’animaux humanisés, et tout cela est délicieux au plus haut point. La représentation du monde du cirque est elle aussi marquante, avec des jeux sur les ombres à travers les tentes, des plans sur les foules émerveillées ou en furie, une sublimation des standards de cet art (cf. la tour enflammée haute de plusieurs dizaines de mètres ou la magnificence des costumes et des décors, dont les wagons), le combat contre les éléments naturels se dressant lors du montage du chapiteau – scène impressionnante notamment grâce au morne chant entonné par des ouvriers sans visage et les images touchantes où mère et fils apprennent à se connaître par l’intermédiaire du travail – et la savoureuse pluralité des accents des personnages. Le cirque est évidemment un environnement joyeux, mais il n’exclut pas la solitude et les crises dues à l’itinérance. On sent que s’il est censé apporter le bonheur aux familles locales, il agit surtout en tant que façade, car ceux qui y travaillent font partie d’une histoire qui se poursuit de ville en ville : même si le public ne s’en rend pas compte, les inimitiés et les ego sont toujours présents quel que soit le lieu de passage. Le cirque est alors un refuge en même temps qu’une prison : tous ses employés s’élancent vers un but commun qui les soude entre eux, mais comme ils vivent dans une micro-société, les tensions restent évidemment présentes.Dumbo a du mal à faire son nid dans ce cadre et l’empathie est alors très forte pour le spectateur : comment ne pas être touché par cet éléphanteau si mignon et si maladroit, rejeté par tous et perdu dans un environnement nouveau pour lui ? Dans cet univers où la solitude est si forte, une simple berceuse devient alors le plus grand des réconforts. Il y a dans "Dumbo" une certaine cruauté mais la tendresse reste ainsi constamment présente, notamment grâce à l’adjuvant Timothée, figure de sagesse et sans doute le plus adulte des personnages du film. S’il permet à l’histoire de se développer sans grande surprise, celle-ci ne se contente pourtant pas de rester posée sur les rails d’un scénario bien ficelé mais peu original. En plus des différentes scènes déjà évoquées dans lesquelles la furie des foules et des éléments ou bien le calme de la nuit bouleversent l’état émotionnel des personnage, on trouve une hallucination surréaliste d’une splendeur remarquable, ressemblant au fruit d’improvisations effectuées par un groupe de jazz. En fin de compte, "Dumbo" semble tirer beaucoup de son inspiration des musiques afro-américaines. D’une certaine façon, on peut penser qu’il s’agit d’un instantané d’une période bien précise de l’histoire américaine : toutes les figures présentées, notamment celle du clochard céleste dont les corbeaux forment de beaux spécimens, semblent appartenir à une époque définitivement révolue, ère pendant laquelle le monde du spectacle était plus artisanal, avait moins de moyens, mais marquait plus durablement le public qui en bénéficiait.