Allez voir ce film. C'est un régal de sensibilité et d'intelligence. Si j'excepte quelques longueurs et deux ou trois scènes répétitives, il n'y a rien à jeter.Je voudrais insister sur un aspect du film dont je ne trouve pas l'écho dans les critiques. La deuxième partie, le huis-clos entre Maria Anders et Valentine. L'actrice et sa secrétaire répètent la pièce jouée vingt ans plus tôt par une Maria Anders au début d'une carrière brillante. Elle jouait alors Sigrid, la jeune fille ambitieuse qui séduisait Héléna, femme mûre et vulnérable. Maintenant, Maria Anders doit jouer à son tour Héléna et ce rôle l'angoisse, il le renvoie à son âge, au temps qui a passé, à l'évolution d'un monde qu'elle ne comprend plus et qu'elle juge superficiel. Maria Anders est à l'image d'un temps qui a fait son temps, celui d'une culture exigeante et élitiste qui convoque les grands textes et la musique classique, celui d'un cinéma sans 3D, sans clips, sans héros lasérisés. Sa jeune secrétaire, Valentine saisit avec gourmandise tout ce modernisme. Elle ne le juge pas; elle en garde ce qu'il a de fort et qui correspond à la sensibilité de la jeunesse. C'est donc avec ce regard jeune qu'elle comprend la pièce pour laquelle elle donne la réplique à la grande actrice. Mais ce qu'il y a de plus étonnant et qui crée un suspense dans cet acte pirandellien du film, c'est que Valentine qui dit les répliques de Sigrid, la jeune fille de la pièce, éprouve des sentiments proches de ceux d'Héléna, la femme mûre. Elle admire, elle aime. Elle espère de toutes ses forces recevoir un regard admiratif ou du moins compréhensif. Maria anders ne voit rien de cette présence exigeante et amoureuse. elle n'écoute rien des conseils de Valentine. Au fond, elle ne la voit pas. Deux scènes disent bien cet aveuglement. Elles se font écho. Anders et Val sont allées dans la montagne regarder la vallée et le fameux nuage "serpent" qui se faufile entre les parois. Elles se sont endormies. Il se fait tard, il faut redescendre. Anders connaît un raccourci En fait, elle s'égare. "Il suffit de descendre" dit-elle, il y aura une route.A la fin de la 2ème partie, c'est Val qui conduit Anders dans la montagne. Elle connaît le chemin. Anders est persuadée qu'elle se trompe. Val ne se trompe pas et conduit Anders là où l'on peut découvrir le serpent de nuages. Anders la contredit encore. Il n'y aura pas le serpent. Elle regarde. Elle scrute le col et soudain, le serpent de nuages apparaît. Elle se retourne vers Val. Personne. Val a disparu et ne réapparaîtra pas. Cette disparition fait écho à celle de la pièce où c'est la femme jouée, la femme rejetée qui s'en va et disparaît.Il y a eu entre les deux femmes une ultime dispute sur le sens de cette fin de la pièce. Pour Anders, Héléna allait se suicider; Pour Val, elle partait, elle quittait un lieu mortifère pour se reconstruire, plus loin, plus haut.Fin de ce deuxième acte où Anders passe à côté d'une admiration amoureuse qui aurait pu lui redonner confiance, en elle et conscience d'une réalité jeune et riche où elle avait sa place.L'épilogue qui n'est pas le plus réussi à mon point de vue se termine néanmoins sur une mise en scène glacée, déshumanisée de la pièce avec une Anders-Héléna funèbre, une loque comme lui dit la jeune actrice qui interprète Sigrid et qui n'a pas sur elle le regard régénérateur et généreux de Val.Il faut dire la justesse de Binoche et de K. Stewart. Il faut dire la souffrance à fleur de peau mais si bien cachée sous le sourire mondain et les rires de l'une, l'attente nerveuse et amoureuse de l'autre...Il faut dire la beauté des images et des visages.L'auteur de la pièce avait choisi pour mourir ce lieu dans la montagne d'où l'on pouvait voir, venu des lacs italiens le serpent de nuages, spectacle à la fois hors du temps et dans le temps. C'est ce prodige que nous donnent à voir les grandes oeuvres d'art et les fims d'exception. C'est ce serpent de nuages, si réel et si intemporel que nous offre ce film.