Les Evangiles n'étant nullement des récits historiques au sens où nous l'entendons aujourd'hui, il n'y a pas à s'étonner ni à se scandaliser lorsque quelqu'un s'en empare ou s'empare de leurs personnages pour en proposer une interprétation singulière. Après s'être réapproprié, dans son film précédent, le personnage de Mandrin, Rabah Ameur-Zaïmeche redéfinit ou redécrit le personnage de Judas. Cette démarche me paraît on ne peut plus admissible, mais dans la mesure où le regard renouvelé du réalisateur s'imprègne d'intelligence et de subtilité. Il ne suffit pas de vouloir se défaire de la figure du traître à laquelle on associe le nom de Judas, mais encore faut-il la réinventer en quelque chose ou en quelqu'un de crédible !
Or, dans ce film, tout est trompeur, souvent absurde, parfois très ambigu. La tromperie commence dès le titre : « Histoire de Judas ». C'est faux ! Le film ne raconte nullement l'histoire de Judas, il se contente de faire se succéder quelques-unes des scènes des Evangiles en les transformant, en en transformant le sens et en faisant apparaître le personnage de Judas pour tâcher de nous expliquer qu'au lieu d'être un traître c'était un des plus fidèles amis de Jésus. Cela commence dès la scène d'ouverture où l'on voit Judas gravir une colline, aller à la rencontre de Jésus qui vient de passer 40 jours au désert et en redescendre en le portant sur son dos comme un saint Christophe !
Passe encore pour cette scène qui ne manque ni d'imagination ni de beauté, mais la suite du film, hormis les scènes de la femme adultère et du lavement des pieds qui sont assez réussies, n'est qu'un tissu d'invraisemblances et d'absurdité. Qu'on en juge !
Quand Jésus chasse les marchands du temple, non seulement Judas lui donne un coup de main mais il se fait le défenseur des animaux en cages comme s'il était un militant de la cause des animaux. Barrabas, curieusement transformé en Carrabas (!), n'est plus le dangereux brigand des Evangiles, mais un doux illuminé qui ne menace la sécurité de personne. Les soldats romains ressemblent davantage à des soldats d'opérette en villégiature qu'à de redoutables et féroces conquérants. Ce ne sont plus, comme dans les Evangiles, les docteurs de la loi qui réclament la mort de Jésus, mais Pilate en personne ! C'est lui qui se sent menacé par Jésus et qui intrigue pour le perdre, ce qui me paraît totalement invraisemblable au regard de l'Histoire ! De plus, quand Jésus est arrêté, avant de le faire comparaître, Pilate va à la rencontre de Jésus pour se justifier devant lui : imagine-t-on un gouverneur romain agissant ainsi, s'abaissant de cette manière ? Enfin, quand il le fait comparaître, voilà qu'ils se mettent à discuter comme de vieux amis, Jésus lui parlant de ses maux de tête et lui recommandant de faire des promenades !!! On a de la peine à y croire, tellement ces dialogues sont à la fois cocasses et inattendus !
J'arrête là pour ce qui concerne les nombreuses absurdités de ce film et j'en viens à ce qui trouble, à ce qui dérange, à ce qui est terriblement ambigu.
Au moment de la scène, Jésus dit à Judas, exactement comme cela est raconté dans l'Evangile de saint Jean : « Ce que tu as à faire, fais-le vite ». Mais il n'est plus question de trahison, au contraire. Jésus envoie Judas, son ami Judas, pour qu'il exécute en son nom une mission secrète. Et cette mission, c'est de poursuivre un scribe qui a pris note des faits, des gestes, des paroles de Jésus, afin de détruire tous ses écrits. Pas de traces écrites, c'est dangereux ! Mais pourquoi les écrits sont-ils jugés dangereux ?
En quoi représentent-ils une menace ? Qui sont ceux qui veulent éliminer les écrits ? Qui sont les hommes que les livres dérangent et qui, dès qu'ils ont assez de pouvoir, organisent des autodafés et censurent les écrivains, sinon les dictateurs ? Rabah Ameur-Zaïmeche n'a sûrement pas voulu faire de Jésus un potentiel dictateur (d'autant plus que l'acteur qui l'interprète manque beaucoup de charisme!), mais l'ambiguïté demeure et, à mon avis, elle entache ce film.
Nul doute que le réalisateur était habité par les meilleures intentions du monde lorsqu'il a conçu et imaginé ce film. Mais (peut-être à son corps défendant) le résultat m'a semblé calamiteux : je l'ai suffisamment prouvé par tous les exemples que j'ai donnés ! Et je me demande bien ce qui est passé par la tête du jury du prix oecuménique pour avoir accordé ses lauriers à ce film au festival de Berlin... C'est consternant ! 3/10