Vous ne connaissez pas Rabah Ameur-Zaïmeche ? Moi non plus, jusqu'à ce jour. Et ç'aurait été dommage de passer à côté!
Drôle de film. Attachant. Esthétiquement travaillé jusqu'au maniérisme, avec ces tableaux humains à la Caravage, tronches burinées violemment éclairées dans l'obscurité. Tout est théâtral, à commencer par le décor: des villages abandonnés de l'Algérie intérieure, montagneuse, ruines qui ne sauraient donc recréer la Jérusalem vivante "moderne" des Ecritures. Ponce Pilate rend son verdict sur un fond de colonnades à demi effondrées.
J'ai lu des réactions très violentes "encore un film contre la religion catholique!". Je ne le pense pas. Je n'ai rien ressenti de semblable, en tous cas. j'ai même, par moments, eu l'impression d'être vraiment plongée dans l'Evangile. Qu'elle est la religion du réalisateur? On lui pose la question, il répond: je suis chrétien, juif et musulman. Sans doute est il agnostique, comme beaucoup d'intellectuels maghrébins.... préfèrent e pas l'avouer!
Il est vrai que Ameur-Zaïmeche fait un joyeux gloubi-boulga avec les Evangiles. On en retrouve des épisodes célèbres, comme la lapidation empêchée de la femme adultère, mais curieusement interprétés. Par exemple, lorsque Jésus monte au Temple de Jérusalem, il n'est pas assis sur un âne mais porte dans ses bras un doux ânon; il renverse les échoppes des marchands du Temple, et libère les animaux promis au sacrifice en disant qu'aucun animal ne devrait être en cage. Bien franchement, je ne pense pas que ce souci du bien-être animal était dans l'air de ces temps.... mais on est bien obligé d'y voir une flèche envoyée en direction de tous ceux qui pensent être agréables à Dieu en faisant souffrir des moutons!
Pourquoi Jésus (Nabil Djedouani) est il représenté le plus souvent dissimulé sous un châle, tête baissée, comme éloigné de tout, alors que ce rabbi était un grand orateur? Mystère...
Par contre, la "réhabilitation" de Judas, interprété ici par le réalisateur même, n'a rien de très provocateur. Dans une certaine tradition, il fallait, pour que les Ecritures s'accomplissent -la mort du Christ précédant sa résurrection- qu'il y ait un traitre. Judas, obligé d'assumer ce rôle de traitre est alors plutôt une victime! Le parti pris ici est inverse. Pourquoi aurait il fallu un traitre, un dénonciateur, alors que le Christ se promenait et parlait partout au vu et au su des Romains? Son sort était scellé: il y avait trop de troubles, trop d'agitateurs pour que les Romains laissent faire; et il valait mieux faire un exemple avec le plus brillant d'entre eux. Le contexte politique, le film le montre bien, entre le petit peuple attendant le retour d'un Roi des Juifs, aussi bien temporel que spirituel, pour se débarrasser des Romains, des illuminés (ici Barabas, Mohamed Aroussi) appelant à la révolte, alors que les prêtres et les dignitaires juifs, parfaits collabos, faisaient corps avec l'occupant...
Judas -le trésorier- était probablement plus instruit que les autres apôtres. En tous cas, le début de l'antisémitisme chrétien commence avec sa personne. Une bonne raison de le réhabiliter...
Bref un film intéressant, intriguant, visuellement magnifique, à la fois original et respectueux. j'ai peur qu'il ne tienne pas longtemps l'écran: allez y!