"Winter Sleep" dernière palme d'or, de Nuri Bilge Ceylan est-il le chef-d'œuvre attendu ?
Plongé dans une extraordinaire Cappadoce de l'Anatolie, on se trouve de suite confronté à des paysages époustouflants que la caméra du réalisateur sublime au plus haut point... La neige, les habitations troglodytes, la roche des paysages, un lapin traqué ou un cheval déchaîné, tout est fascinant et étonnant de beauté sous l'œil expert du cinéaste turc !
Et au milieu, gravitent ces trois personnages dont les regards sont également magnifiés par une lumière, un cadrage, tout aussi merveilleux comme pour mieux percer les esprits et les secrets de chacun...
Car c'est bien cette intention qui nous tiendra en éveil à travers ce comédien à la retraite (et non un acteur, dit-il !), sa jeune épouse de plus en plus esseulée et sa sœur hébergée et mal remise d'une récente séparation.
Chacun de ces trois protagonistes sera étudié sous l'œil du microscope tant au niveau des échanges, des réactions, des changements d'attitude à travers des dialogues où souvent une simple question va enchaîner un rebondissement de situations, des propos pas très tendres et une mise au point révélatrice d'un malaise ambiant bien palpable...
Aydin à ce titre, est magnifiquement interprété par Haluk Bilginer; son personnage complexe apparaît ainsi sous des jours différents pour être ni franchement bon, ni franchement mauvais...
À vouloir l'étudier d'aussi près, le réalisateur finit paradoxalement par le cerner de moins en moins bien et le spectateur aussi par la même occasion !
Qui est-il réellement au bout du compte ?
Un homme déçu par sa carrière où tout n'est qu'apparence, qui semble humain et à l'écoute sans l'être du tout finalement, se donnant une raison d'être dans l'écriture ? Une illusion pour lui-même ?
Sa sœur réglera ses comptes avec lui au cours d'une discussion assez cruelle d'ailleurs mais aussi curieusement un peu artificielle...
Quant à l'épouse, la distance se crée, l'indifférence que son mari lui procure s'installe, ce qui reste intéressant mais cela aurait eu encore plus de sens, de force et aurait donc eu toute sa justification dans un vieux couple où chacun s'éloigne par le poids des ans !
De ce fait, malgré quelques scènes magistrales et fortes, tout ne fonctionne donc pas aussi bien qu'on aurait pu l'espérer comme en particulier les rôles féminins qui semblent ainsi moins pertinents...
Il n'empêche que l'idée générale est excellente et que les questions soulevées sur la dignité, le sens de la vie, le rapport à autrui,... résonnent de plein fouet à travers cette introspection des âmes.
On passe donc assez près de la grande réussite mais cette longue étude de caractères est quelquefois trop appuyée, trop fabriquée et manque ainsi de naturel, de vérité, pour être véritablement fluide et évidente en nous emportant complètement !
Loin d'être le film choc pour ces différentes raisons, c'est le rôle masculin, qui se justifie essentiellement ici, par ses sentiments, ses revirements, son assurance, son égoïsme voire son arrogance et à la fois ses propres questionnements qui sont finalement aussi les nôtres !
Inspiré d'une œuvre de Tchekhov, ce beau film intelligent mais imparfait est à mon sens assez loin du cinéma de Bergman évoqué par beaucoup...