Winter Sleep – Une invitation au partage.
Lors d’une des célèbres introductions du patron du Balzac (et oui encore !), Jean-Jacques Schpoliansky affirme devant la salle pleine à craquer qu’il nous aura fallu 10 semaines pour enfin venir voir « Winter Sleep ». Il faut reconnaitre qu’en dépit (ou à cause) de sa Palme d’Or, cette œuvre turque de 3h15 filmée dans un hôtel pommé d’Anatolie faisait peur. Mais, après avoir réservé mon dimanche après-midi, je me trouvais, surpris par le monde présent, au premier rang à l’extrême gauche assez salement installé pour ce marathon cinématographique.
Toute suite la présence de l’acteur principal, avec sa gueule de métèque, est rassurante. Il fait froid déjà, la tension entre les personnages est très vite palpable. Lui, propriétaire d’un hôtel de charme perdu aux confins de l’Europe, face à ses locataires, mauvais payeurs, mais pas nécessairement malhonnêtes. On rentre à ses cotés se réchauffer d’un thé ou d’un café dans le salon de l’hôtel ou dans son bureau décoré avec soin et gout. On découvre sa sœur, puis sa femme, plus jeune, belle, trop distante ? Il y a une intrigue ; pourquoi ces locataires ne paient plus, jusqu’au va aller cette confrontation entre l’intello nantis, libre et les simples habitants de sa masure portée par leur foi de charbonnier. Mais ce film n’est pas un polard, mais une invitation à partager les pensées des personnages qui s’expriment à travers des dialogues qui constituent le cœur du film. Comme dans une longue discussion entre amis, on évoque la façon de lutter contre le mal (la sœur propose une approche très originale), la place des riches dans la société, la renonciation à l’esthétisme de la plupart de nos contemporains, mais aussi les ressentiments à l’encontre d’un frère, les raisons qui ont conduit un couple prometteur à irrémédiablement s’éloigner et ainsi de suite. Le réalisateur prend le temps d’écouter, de filmer, les regards fuyants, les postures, les non-dits. Le spectateur s’immisce dans ces conversations, s’identifie aux personnages. La camera, neutre, l’aide en se posant simplement à coté des participants à ce huit-clos inspiré indubitablement des récits de Tchekhov.
Il n’y pas de longueur, le temps est habilement occupé par les pensées débattues avec passion et intelligence. Le film se prolonge ensuite avec subtilité une fois sorti de la salle car ces discussions génèrent nos propres réflexions et interrogations.