Il y a comme ça des films qui vous happent dès le générique sans que l’on puisse s’en détacher, et ce bien au-delà de leurs fins. « Urbania » totalement inconnu au bataillon des œuvres vues, à voir où dont l’on a entendu parler, se referme sur vous tel un carcan et vous plonge dans un étrange voyage de l’imaginaire.
Charlie, ne se remet pas tout à fait de l’absence de Chris. Il est comme en transit dans une ville de New-York qui lui est devenue totalement inconnue et hostile et attend désespérément qu’on le « sorte de sa tête deux minutes ». Noctambule, il ère dans d’étranges quartiers ou la frénésie urbaine est à son paroxysme et évolue semble t-il au gré de ses rencontres… Mais Charlie a un but bien précis, retrouver Dean, un mec (un fantasme !) qu’il n’aurait jamais du croiser…
Très vite, on se demande où John Shear veut nous entraîner. Le récit s’appuie sur une série de légendes urbaines très connues (un homme qui réveille au matin après une folle nuit d’amour avec un rein en moins, ça vous dit quelque chose ?). Ces « bobards » énormes dont se délectent ses acolytes d’un soir, s’imbriquent dans le périple de Charlie et viennent le structurer. Mythe ? Réalité ? Malgré la confusion générale, tout semble pourtant avoir un sens, une logique que l’on ne soupçonne pas, au moins au départ.
Tout le scénario, d’une redoutable efficacité, s’articule autour de ce trouble. Celui de Charlie, qui ne perçoit plus l’agressivité du monde extérieur pourtant bien réelle et probante, tout occupé dans sa quête quasi mystifiée et par le vide qu’à laissé Chris derrière lui.
« Urbania » est redoutablement bien amené, et s’inscrit bien dans son temps (nous sommes au début des années 2000). La peur y est omniprésente. La violence, la mort la maladie, l’échec, la solitude sont autant d’ombres qui planent sur les vies, au point tel qu’il faille inventer d’autres peurs, plus épouvantables, plus légendaires pour calmer cette angoisse permanente. Angoisse que John Shear sait si bien mettre en scène. C’est pourtant son premier film (il a été jusque là un vague acteur) mais sa maîtrise étonne. Ces choix techniques sont judicieux de bout en bout. Le montage nerveux, voire épileptique, assure la fluidité de la narration. La lumière joue également son rôle entre ambiance et ombrées du film noir et saturations inquiétantes. Quant au découpage, d’une grande rigueur et parfaitement linéaire, il installe le récit dans une espèce de logique factuelle à glacer le sang.
Les acteurs ne s’y trompent pas non plus, ils se donnent à fond pour ce film aussi facétieux que plombant. Dan Futterman, joue de son charme vénéneux et emporte notre empathie, il est brillant ! Samuel Ball nous rappelle le bad boy Dillon dans « Rumble Fish » et Alan Cumming, bien que dans un rôle très court exprime toute la désespérance de la solitude (le milieu gay est parfois cruel).
Présenté à Sundance, ayant gagné de nombreux prix dans d’autres festivals « Urbania » n’a visiblement pas marqué les consciences (aucune note sur Allociné qui se plante même sur le nom du réalisateur !) Plus d’une décennie après, il est grand temps de réhabiliter ce film captivant !