Un film qui me paraît tout essentiel pour la puissance de son propos mais également ses indéniables qualités cinématographiques bien que celles-ci puissent paraître totalement secondaires face à la densité du message proposé. C'est un film profondément humain avant tout qui dénonce l'absurdité de la guerre et qui est un véritable réquisitoire pour l'euthanasie, le droit de mourir en cas de graves blessures.
Ce qui est réellement génial dans ce film c'est que le sujet est abordé avec beaucoup de pudeur et sans aucune lourdeur. Trumbo ne filmera pas les multiples mutilations du corps de Johnny, on ne verra que le sommet de sa tête, son torse et rien d'autre. Il n'y a donc pas de scènes écoeurantes à proprement parler, l'écoeurement vient plutôt de la prise de conscience du spectateur du cauchemar que va vire Johnny qui a encore toute sa conscience et qui est prisonnier dans un corps meurtri sans aucun moyen d'expression puisqu'il est dépourvu de ses membres et privé de presque tous ses sens. Seule la sensibilité de sa peau lui permet de percevoir ce qui l'entoure. Les médecins étant persuadés que son cerveau est en grande partie détruit et que par conséquent il n'est pas conscient de ce qui se passe, Johnny sera utilisé comme cobaye qu'on utilisera afin de pouvoir soigner d'autres blessés de ce genre à l'avenir. Ce qui donne cette impression de cauchemar sans fin pour le jeune soldat.
Néanmoins le film ne contient pas que des plans sur Johnny mutilé. Le scenario est construit comme si celui-ci était dicté par les pensées du personnage. Ayant conservé ses capacités cérébrales, celui-ci se souvient, rêve, fantasme... Le film navigue dans la vie de Johnny entre son passé, ses rêves et sa dure réalité. La frontière entre ses souvenirs et ses fantasmes reste d'ailleurs assez mince, certaiens séquences nous perdent habilement de par leur caractère presque surréaliste dans un univers terre-à-terre.
La mise en scène de Trumbo est remplie d'idées. Les passages dans le présent où Johnny est mutilé sont en noir et blanc tandis que les séquences oniriques et passées sont en couleur, ce qui accentue le calvaire de Johnny, ce qui nous fait comprendre ce qu'il endure. Je pense que c'est le personnage de cinéma pour qui on peut ressentir le plus d'empathie. Il n'était pas exceptionnel ni parfait, c'était quelqu'un comme tout le monde à qui le destin a joué un tour cruel. Timothy Bottoms est génial dans ce rôle, tout en retenue, un acteur pas très connu du grand public qui mérite davantage de reconnaissance (il est également en tête d'affiche de La Dernière Séance de Bogdanovich, un merveilleux film).
Le film regorge de passages aussi magnifiques que tragiques. On sent la petite touche surréaliste amenée par Luis Bunuel qui a collaboré sur ce film. Les séquences de rêve, notamment celle où Johnny retrouve sa fiancée dans un vaste espace vert, sont surprenantes. Les scènes avec le "Christ" interprété par Donald Sutherland sont à proprement parler géniales et troublantes puisqu'on ne sait pas si c'était réel ou imaginé. Les discussions entre Johnny et le Christ nous montre la naiveté de ce premier, son innocence touchante. C'est également une critique de la religion et de son hypocrisie. La scène m'ayant le plus marqué reste celle de la canne à pêche où Johnny perd celle de son père alors que celle-ci comptait beaucoup pour lui. Jason Robards (mythique Cheyenne dans Il était une fois dans l'Ouest) apporte sa figure attendrissante dans le rôle du père. On n'eût pas rêvé de meilleur casting pour ce film.
L'ennemi n'est pas visible dans ce film, on ne verra que le corps d'un allemand pris au piège dans des barbelés. Pour Trumbo le camp ennemi n'est pas plus responsable de la mutilation de johnny que la guerre elle-même. Il montre surtout que celle-ci blesse, tue mais surtout déshumanise. C'est un constat amer sur l'être humain et une violente charge anti-militariste, un peu à la manière des Sentiers de la gloire ou d'un Full Metal Jacket de Stanley Kubrick bien que ces derniers soient moins durs psychologiquement. L'empathie que l'on ressent pour Johnny est telle que son sort laissera rement indifférent. On voit celui-ci se perdre dans son esprit et souffrir, victime d'une véritable torture mentale. On souhaite sa mort, son soulagement.
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