Anne Fontaine aurait-elle été atteinte, ne serait-ce que temporairement, de bovarysme ? Ma foi, quand on regarde "Gemma Bovery", on serait en droit de se poser la question. Parce qu’on ne sait pas trop si, en s’appuyant sur le roman de l’anglaise Posy Simmonds, elle ne s’est pas tout simplement contentée de revisiter à la sauce moderne le chef-d’œuvre de Gustave Flaubert, "Madame Bovary". Peut-être que le roman de l’auteure britannique n’était qu’un prétexte, après tout ! Allez savoir…Elle a même poussé le vice jusqu’à respecter l’œuvre par une calligraphie très soignée (et telle comme on n’en voit plus de nos jours) lors du générique du début. Toujours est-il que l’idée du film est plutôt pas mal
(pensez donc : « une femme banale qui ne supporte pas la banalité de sa vie », voilà une histoire somme toute pas très banale)
, sans compter que ça permet de faire découvrir (de loin) un grand classique de la littérature française à des personnes qui n’ont pas eu l’opportunité de l’étudier étant donné qu’il n’est plus au programme de l’éducation nationale depuis quelques années déjà. Ou de le redécouvrir sou un jour nouveau… Le mérite de l’originalité du scénario revient tout de même à Posy Simmonds. Après, j’ignore si l’adaptation respecte à la lettre le roman, mais faire installer dans la région même où Flaubert a grandi une personne répondant au nom de Gemma Bovery, avouez qu’il y a de quoi jeter le trouble, surtout quand on a une certaine culture et qu’en plus, cette personne est mariée à un dénommé Charlie. Pour interpréter le rôle du cultivé troublé, faites comme Anne Fontaine : n’allez pas chercher bien loin. Un nom s’impose tout naturellement, celui de Fabrice Luchini. On a beau aimer ou pas l’acteur, il faut tout de même reconnaître que le rôle est taillé sur mesure pour lui. Nous savons tous qu’il apprécie le maniement des mots, et le fait est qu’il nous régale de quelques bons mots. D’ailleurs ça vient assez rapidement auprès de son fils Julien (Kacey Mottet Klein). Ce trouble fut si grand pour Martin Joubert (Fabrice Luchini) qu’il se charge lui-même de nous conter comment en parisien « trop con » (réplique extraite directement du film) il a raté sa quête d’équilibre et de tranquillité qu’il est venu chercher en Normandie à proximité de Rouen. Hélas le tout est un peu fade malgré quelques banderilles savoureuses : les répliques prononcées lorsque Gemma se fait piquer (vous les prenez à part, sans images, et elles veulent dire complètement autre chose !), la façon très inattendue avec laquelle Martin dit à son chien de se taire… Heureusement qu’Anne Fontaine n’a pas son pareil pour capter la sensibilité des personnages. Là-dessus, il n’y a rien à redire. La sensibilité de la cinéaste est indéniablement un atout qu’elle sait utiliser, et elle en donnera encore un parfait exemple lors de sa réalisation suivante ("Les innocentes"). Pour preuve, certains plans parlent d’eux-mêmes, bien qu’ils n’auraient rien donné sans l’admirable expression scénique des deux acteurs principaux. Prenez par exemple la séquence où la caméra n’est ni plus ni moins que les yeux de Martin en train de contempler jusqu’au moindre petit détail le corps de Gemma dans la pénombre à peine éclairée par le feu de cheminée. Et en plus, Anne Fontaine livre une vraie petite démonstration quant à la maîtrise de la lumière. Alors malgré la relative fadeur dont j’ai parlé quelques lignes plus haut, tout cela, tous ces bons points suffisent à garder l’attention du spectateur et à le garder devant son écran. D’autant plus qu’on ne sait pas trop ce qui anime Martin : la jalousie, ou la peur de voir l’histoire se répéter ? A moins que ce ne soit les deux… Si c’est la jalousie, nous les spectateurs pouvons la comprendre. Après tout l’interprète du rôle-titre, Gemma Aterton (Gemma ? tiens donc !) est jolie (elle est aussi sexy que sombre et mélancolique, voire plus) et puis… (là je m’adresse aux messieurs alors mesdames fermez les yeux !) le fait qu’elle cache ses dessous les plus sexy sous un long manteau… Mamaaaaaa !!! J’adore !! Mieux : j’en rêve !!! Bon, on va se calmer (ah au fait, vous pouvez rouvrir les yeux mesdames) parce que tout ça ne rend pas ce film pour autant mémorable, malgré les décors normands qui offrent un bel écrin de verdure et de charme. C’est franchement dommage, mais la faute en incombe aussi à ce manque de ressenti par rapport à la tension dramatique, que j’aurai espéré plus présente, plus tendue, plus… poignante. Parce que le plus grand paradoxe de ce film, c’est que le spectateur est plus attentif aux tergiversations contrariées de Martin plutôt qu’au sort de Gemma Bovery. Mais reconnaissons que si nous avions été à sa place, il est très probable que nous aussi nous nous serions intéressés de près à ce formidable hasard de voir les Bovery venir vivre là où "Madame Bovary" est née, à condition toutefois de connaître l’œuvre littéraire de ce cher Flaubert. Quoiqu’il en soit, comme le souligne l’internaute cinéphile, l’épilogue intervient de façon inattendue dans lequel il y a un formidable enchevêtrement des responsabilités de chacun des protagonistes. Et la petite touche finale, c’est l’ensorcellement paranoïaque de Martin aussitôt tourné en moquerie en évoquant Tolstoï, ce qui ne manque pas de sel.