Look closer…nous glisse discrètement l'affiche du film. Oui regardez de plus près…Ce n'est pas qu'il y a un truc tout petit à voir. Au contraire, plutôt un truc très grand: du très grand cinéma.
Déjà, Kevin Spacey.
Pffff…Comment dire…Alors lui, il se pose là. Bien avant House of cards, le lascar a imposé le respect dès la fin du siècle dernier. Après s'être déjà fait remarquer en patron détestable dans le mordant "Swimming with sharks", le mec s'est quand même payé le luxe de jouer dans quatre chefs-d'oeuvre absolus de la deuxième moitié des 90's, rien que ça. "Usual suspects", "Seven", "L.A. confidential", et enfin "American Beauty" qui clôturera en beauté ce carré magique en 1999 (sans oublier un petit Eastwood au passage: "Minuit dans le jardin du bien et du mal"). Ca vous classe un acteur, non? Et puis attention hein, pas des rôles mineurs, non, non… Non on parle de personnages qui ont définitivement marqué la mémoire collective. Là on fait dans le culte, pas dans l'anecdotique.
Dans ce premier coup de maître de Sam Mendes, il campe génialement Lester Burnham, un de ces loosers magnifiques à la mine dépitée qu'on adore: quadra frustré et pathétique, nous annonçant d'emblée en voix-off sa mort dans moins d'un an, emprisonné dans son impeccable pavillon de banlieue middle-class. Coincé entre une épouse castratrice limite nervous-breakdown (Annette Bening, superbement hystérique) et une fille désabusée avec laquelle il ne parvient pas à communiquer, le meilleur moment de sa journée consiste en une petite séance matinale de paluchage sous la douche, avant de rejoindre son poste de minable employé de bureau. Sa crise de la quarantaine va littéralement exploser lors de son coup de foudre sur la copine sexy de sa fille ainsi que sa rencontre avec le rejeton dealer de ses nouveaux voisins névrosés, réveillant brutalement le volcan de ses fantasmes de deuxième jeunesse et ses instincts de douce insouciance, ravivant les flammes d'une rébellion libératoire et fabuleusement drôle.
Le scénariste Alan Ball, dont on retrouvera la signature dans la magnifique série "Six feet under", signe ici une satire particulièrement cynique et tragi-comique sur la quête de la réussite socio-professionnelle et familiale doublée d'une réflexion aux allures de teen-movie haut-de-gamme sur les tourments existentiels de l'adolescence. Le script déploie une implacable mécanique qui aboutit à un climax aussi splendide que cruel. Mais non content de détruire et d'incinérer méthodiquement les valeurs de l'american way of life, il en disperse les cendres sur une ode élégiaque à la beauté de la vie, dans sa forme la plus évidente comme dans ses petits instants les plus insignifiants. Il délivre subtilement un vibrant appel à aller au-delà des apparences, sublimé par une mise en scène en osmose qui enveloppe d'un linceul d'ironie et de mélancolie mêlées les idéaux perdus d'une vie.
Sam Mendes, metteur en scène anglais issu du théâtre, façonne en effet ce joyau d'écriture avec une maîtrise clinique et un vrai regard de cinéaste, imposant un sens du cadre remarquable pour une première oeuvre cinématographique, comme dans la première des deux scènes dans le bureau du patron de Lester. Le réalisateur et son directeur photo Conrad Hall jouent brillamment sur les couleurs, faisant du rouge un personnage à part entière du film, symbole du désir comme du danger, de la passion comme de l'interdiction, véritable fil rouge d'un destin funeste.
Copieusement Oscarisée, cette chronique acerbe au ton si particulier dû en grande partie à la superbe musique de Thomas Newman, qu'on retrouvera également au générique de "Six feet under", inspirera de nombreuses autres productions (les créateurs de "Desperate housewives" ont dû se la passer en boucle). Mais regardez de plus près: vous avez déjà vu mieux dans le genre?