Très attendu, surtout au tournant, après un Man of Steel plutôt réussi mais pouvant s’apparenter à une forme de déception selon les attentes de chacun, la suite des nouvelles aventures cinématographiques de Superman aura su déchaîner autant de passion avant sa sortie qu’après.
Le ton est donné d’entrée de jeu dès l’ouverture du film aux allures d’âge d’or du film noir où Zack Snyder renoue avec ses codes cinématographiques après s’être effacé au profit de son personnage sur le film précédent. Débordant de personnalité, le cachet visuel de ce Batman v Superman se trouve à la fois dans la continuité de Man of Steel mais surtout bien ancré dans la filmographie de son réalisateur. Plus proche de son Watchmen dans la tournure des événements, la narration et l’empreinte graphique indéniable, déjà en avance sur son temps à sa sortie, le nouveau film de Zack Snyder ose et assume ses partis pris, apporte son lot de fraîcheur au paysage du blockbuster actuel et principalement au genre super-héroïque. Logé quelque part entre le film noir, la fresque héroïque, le film de monstre, le serial, les ponctuations horrifiques, le cachet visuel de la planche de comics et le post-apocalyptique, le film de Snyder n’hésite pas à prendre et à digérer autant d’influences que nécessaire pour les mettre au service de sa propre histoire et de ses personnages forts en allure pour redéfinir son propre style que l’on pourrait facilement qualifier de « thriller héroïque ». Le réalisateur jouit, par ailleurs, d’une liberté relativement large sur le processus créatif comme peuvent en témoigner les séquences « de rêve » où la photographie se permet quelques folies et où le cinéaste joue les George Miller pour quelques intenses minutes.
Documenté, intéressé, bien pensé et surtout réalisé avec un amour aussi démesuré que son sens du spectacle, Batman v Superman n’a pas froid aux yeux quand il s’agit de construire une histoire dense dans laquelle évoluent son lot de personnages abîmés autant physiquement que moralement. En ce sens, ce nouveau blockbuster possède un ton de modernité pertinent tant il fait écho à notre propre monde, brisant le quatrième mur avec la force de lignes de dialogues bien placées pendant les moments de doute du long-métrage. Que ce soit l’excellente surprise qu’est Jesse Eisenberg dans les pompes de son Lex Luthor névrosé, Ben Affleck impérialement le Batman idéal que Frank Miller ne pourrait pas renier ou Henry Cavill qui déride son boyscout naïf et tout-puissant, chaque personnage a son lot de fêlures, loin de l’idéalisation déifique et inaccessible des icônes DC traditionnelles. Zack Snyder plonge plus que jamais ses êtres (in)humains liés par des blessures œdipiennes, dans une société profondément humaine et fragile dont les cicatrices du 11 septembre 2001 sont encore à vif.
Atmosphère de monde en crise, crainte du terrorisme, crises diplomatiques, Batman v Superman est certainement le film du genre le plus contemporain qui soit, n’hésitant pas une seule seconde à jeter ses dieux en pâture à un monde souffrant où la peur prend la place de la foi.
Si Man of Steel était un film solaire et porté sur l’espoir, Batman v Superman en est l’anti-thèse, le devant principalement à son côté Gotham et brise chacune des belles promesses pures faites par le sauveur en cape rouge, le constat est là : Superman ne laisse pas que l’espoir derrière lui, il détruit autant de vies qu’il n’en sauve et crée par conséquent ses propres ennemis dans sa croisade sainte du bien dans le monde. Car c’est bien là tout le propos du film et l’enjeu principal de cette nouvelle fresque sombre quasi-graphique : le questionnement sur le sens du bien et de la justice et la place de Dieu autant dans la société que dans le coeur des Hommes. Et si, finalement, Superman n’existait pas ? Qu’il n’était que le rêve d’un fermier du Kansas ? Jamais les super-héros ont semblé si peu manichéens, leurs rôles sans cesse remis en cause, et il est désormais certain que si les films DC excellent bien dans un domaine, c’est celui de créer de traiter habilement des « méchants » avec consistance et intelligence, Zod était déjà un tour de force, Lex en est sublime.
Références bibliques, tensions et un ton résolument violent, voilà ce que collectionne Batman v Superman. Le film va là où est en droit de l’attendre avec les promesses qu’il a su faire, parfois même plus loin et ne déroge pas à ses propres règles : inutile de lui reprocher son approche radicalement différente des films Marvel « humour & fun », le métrage n’a jamais tenu à jouer dans cette cour, privilégiant la gravité des événements, leur ampleur dramatique et leur impact viscéral sur chacun des personnages.
Du côté des clins d’œil, il n’a jamais fait aucun doute sur le statut de geek de Snyder, il le prouve encore une fois dans son long-métrage en glissant avec finesse quelques références de la pop-culture çà et là. Que ce soit des plans iconiques très forts bien connus des meilleurs comic-books ou des références directes au cinéma de monstres, le cinéaste pose de manière bienveillante quelques parallèles entre son Lex Luthor et Frankenstein, dans une séquence explicite où la foudre qui s’abat sur une « forteresse » permet de créer la vie. La référence à Mad Max dans la séquence la plus ancrée dans le fantasique du film est immanquable et impossible de passer à côté de l’emblématique cliché de King Kong sur l’Empire State Building quand Doomsday s’accroche à une des hautes needles de Metropolis. N’oublions pas, qu’à sa manière, Batman v Superman est également un film de monstres, en ça la qualité des références et des repères est tout bonne inattaquable.
Bien écrit et dirigé avec amour, le nouveau film de Zack Snyder assume avoir son point de vue, ses partis pris quitte à froisser un certain nombre d’aficionados dans le public et à commettre ses propres erreurs. Globalement, la leçon du Man of Steel a été bien retenue, reste un dosage bien géré pendant les 2/3 du long-métrage et qui a la main (jouissivement, soyons francs) lourde dans la dernière partie du film où une orgie sur-spectaculaire de pyrotechnie et de couleurs se hissant à un niveau de grand spectacle encore rarement atteint, si ce n’est pas un certain George Miller. Fort heureusement, la présence salvatrice de Wonder Woman (Gal Gadot imparable et habitée) possède à elle-seule ce dernier tiers et amène une dose de fraîcheur bienvenue, de lumière inespérée à un tout suffoquant de noirceur et de destruction massive.
Le dosage du film est clairement son point noir, ainsi que son statut bâtard et déchiré entre ce que le film fait, a promis et se doit de faire : être une suite, être un reboot, une introduction à la Justice League, poser les bases des choses à venir et oublie parfois, avant de se recentrer, qu’il doit surtout et avant tout être un film entier avec son commencement et son dénouement. Sous forme de boucle, le film s’ouvre et se ferme sur le même schéma dans lequel les péripéties s’enchaînent. Le nouveau monde de Batman et Superman s’ouvre sur un enterrement et se ferme sur un autre accompagné de la voix lasse d’un Bruce Wayne brisé (et d’un Ben Affleck impeccable). Pourtant, Zack Snyder soutenu par l’écriture de Chris Terrio arrive à tout contenir dans son film avec un début défini, un corpus clair et une conclusion qui boucle le tout. Toujours est-il que même si le film semble partir dans tous les sens et a un certain arrière-goût d’inachevé, l’ensemble tient la route et reste clair à suivre pour n’importe qui.
Caméos maladroits, soucis de rythme dus à de nombreuses coupes occasionnant un certain nombre de zones d’ombre brouillonnes et une conclusion qui traîne en longueur avant le tomber de rideau final, viennent entacher le bilan. Bilan global qui aurait pu être unanimement positif grâce aux deux premiers tiers du film réellement impressionnants et menés avec talent et grande maîtrise s’inscrivant dans une tendance à contre-courant des standards actuels autant dans le cheminement de l’histoire que dans les résolutions d’intrigues. C’est une habitude chez Zack Snyder, désormais, comme à l’époque de Watchmen et de Suckerpunch, Batman v Superman est déjà un coup très fort mais le sera encore plus en version longue, c’est dores et déjà une certitude. Le film va diviser mais pas pour de mauvaises raisons, au contraire : car il possède une identité forte et assumée.
Batman v Superman bien qu’imparfait ose des choses inédites, prend des risques et tient ses promesses. Plus qu’un film de super-héros il expose un drame politique et philosophique sur les besoins d’espoir de l’humanité et la peur du pouvoir absolu dans un contexte contemporain et un ton très « Frank Miller-ien ». Malgré ses défauts principalement centrés sur le montage et la coupe de la version cinéma qui handicapent son rythme, le nouveau film de Zack Snyder peut compter sur ses très puissantes et imposantes qualités ainsi que sur la fraîcheur et la nouveauté qu’apporte son flot de noirceur et de violence dans le paysage des blockbusters. Dans les faits, Batman v Superman, à défaut d’être la pièce aboutie que l’on pouvait attendre reste ce qui se fait de mieux dans le genre depuis Watchmen, de plus spectaculaire et maîtrisé, de plus sincère, intrinsèquement de plus profond dans son propos et sûrement de plus neuf.