La richesse de la culture artistique flamande est mondialement reconnue, la peinture en étant certainement le plus illustre, mais non l’unique, représentant. En revanche, on ignore communément l’existence d’un très riche cinéma belge, très peu représenté en effet (et malheureusement très peu distribué), mais d’une grande qualité. Pour s’en convaincre, la seule vision de «L’homme au crâne rasé» suffit. Premier long métrage d’André Delvaux, ce film est à ce jour considéré comme le 1er grand film belge, et reste pour moi l’un des plus extraordinaires représentants de ce courant, principalement littéraire, qu’on appellera plus tard «réalisme magique». Réalisé en 1965 et adapté d’un roman de Johan Daisne, le film révèle alors au cinéma une toute nouvelle forme de narration, portée par une impressionnante liberté formelle. Le résumé du scénario est inutile car il ne donnera aucune indication sur la substance de ce chef d’œuvre. Vaste monologue intérieur, le film se présente comme le portrait psychologique, voire psychiatrique, d’un homme sombrant imperceptiblement dans la folie, mais un portrait vécu véritablement de l’intérieur, cette intériorité contaminant et guidant la forme même du film. Nul naturalisme ici, mais beaucoup de magie. Ainsi, les fantasmes de cet homme vont contaminer la réalité, sans que l’on s’en aperçoive, nous laissant dans l’incapacité de définir clairement ce qui relève du rêve ou du vécu et nous donnant à vivre une expérience cinématographique troublante, intimidante, mais profondément fascinante. Par ailleurs, Delvaux se révèle être un excellent technicien, son film exploitant la richesse de la grammaire cinématographique avec génie, multipliant les scènes anthologiques (le coiffeur, l’autopsie, etc). Froid, sec, le film est à l’image de son acteur principal: sous une apparence neutre et placide se cachent les sensations les plus intenses. Admirable, et indispensable.