Deux jours et une nuit: c'est le temps qui est accordé à Sandra (Marion Cotillard) pour sauver son emploi au sein d'une entreprise de panneaux solaires. Deux jours et une nuit: c'est le nouvel ultimatum qu'a réussi à négocier Juliette, l'amie de Sandra, afin d'organiser un deuxième vote (après celui qui devait évincer cette dernière de son emploi). Crise oblige, les salariés sont mis au pied du mur et contraints à un choix cornélien: ou ils toucheront une prime de mille euros et Sandra sera licenciée ou ils renonceront à la prime et Sandra retrouvera son emploi.
On l'apprend rapidement, cette dernière vient à peine de se sortir d'une dépression (dont on ne connaît pas la cause), elle est encore fragile, elle absorbe sans arrêt des pilules, et il lui faut pourtant mener ce combat. Elle a besoin de ce travail, elle doit se battre pour le garder, nonobstant l'opinion cynique d'un patron qui juge que son absence forcée pour cause de maladie n'a causé aucun tort à l'entreprise. On peut se passer d'elle, juge-t-on en haut lieu, d'où ce chantage à la prime qui fait la part belle à l'inhumanité et au mépris.
Poussée par son amie Juliette et par son mari (Fabrizio Rongione), Sandra entreprend de visiter, un par un, chacun des salariés de l'entreprise afin de le convaincre de voter en sa faveur (et, du même coup, de renoncer à la prime, puisque c'est le choix qui leur est imposé!). Cela pourrait être vite lassant, d'autant plus qu'il faut que Sandra tienne à peu près le même discours à chacun des salariés. Mais, avec les Dardenne, pas de place au ronron ni à l'ennui! Chaque rencontre est certes ponctuée par ce même discours qui revient comme le refrain d'un chant fait d'espoir et de détresse, mais chaque rencontre est aussi le moment d'un mini suspens, de l'attente angoissée d'une réponse, d'une acceptation, d'un refus, d'un revirement, d'une hésitation... Avec Sandra, le spectateur espère, pleure, sourit, est pris à la gorge...
Sandra vacille, Sandra chute, Sandra se relève, Sandra espère... On vibre avec elle, on souffre avec elle, on suffoque et on avance avec elle. Ce qu'on l'oblige à faire est inhumain et injuste: si elle retrouve son emploi, que diront les employés qui auront voté pour la prime et qui, du coup, l'auront perdue? Les Dardenne se gardent de porter des jugements sur les personnes: ceux qui souhaitent garder la prime ont de bonnes raisons de faire ce choix. Chaque rencontre de Sandra avec un salarié nous laisse entrevoir les difficultés de vivre, voire les détresses, que connaissent les autres. Sandra se bat pour son emploi, mais la plupart des autres aussi sont obligés de se battre, qui pour payer des échéances, qui pour soutenir financièrement un enfant qui fait des études, etc. Ce ne sont pas les personnes qu'il faut condamner, mais un système inique qui les fait pencher dangereusement du côté de la dureté, voire de la violence.
Reste ce que les Dardenne essaient toujours de détecter, de déceler, de retrouver, même quand il nous décrivent les pires détresses et les pires injustices: la part d'humanité. Rester un être humain, garder ou retrouver sa dignité d'homme ou de femme, même quand on est broyé par un système qui n'a que mépris pour la personne. Où donc Sandra puise-t-elle sa force, elle qui apparaît par moments si fragile et si défaillante? Dans l'amitié, dans la solidarité et dans l'amour. Il y a la force insufflée par son amie Juliette et par les autres salariés qui se rangent de son côté. Et il y a la force insufflée par son mari, bel exemple d'un amour qui relève, qui soutient, qui partage chaque souffrance, qui donne à espérer contre toute espérance. L'humanité, la grandeur et la beauté de l'humain qui ensoleillent ce film pourtant douloureux, les voilà.
Une fois encore, Jean-Pierre et Luc Dardenne nous proposent un film écrit, mis en scène et réalisé avec un soin et un talent qui ne peuvent qu'emporter l'adhésion. Il n'y a pas eu la moindre fausse note, jusqu'à présent, dans leur filmographie. C'est assez rare pour être souligné. Quant à Marion Cotillard, malgré son statut de star, en grande actrice qu'elle est, elle a su parfaitement s'adapter à l'univers et au style des deux frères. On ne se lasse pas de la scruter, on ne se fatigue jamais d'admirer son jeu. 9,5/10