En donnant à son film le nom de la montagne, le réalisateur fait de cette dernière le personnage-somme auquel vont tenter de se mesurer une série d’hommes privés d’idéal et aveuglés par le dépassement de soi ; ainsi, Everest s’affirme non pas tant comme un divertissement à grand spectacle, mais davantage comme une œuvre technique qui vire progressivement à l’élégie humaine. Les corps des alpinistes, d’abord mis en avant lors des réunions en raison de leurs convictions inébranlables et de leurs pulls colorés, finissent par se confondre les uns avec les autres, puis par fusionner avec l’environnement naturel : plaqués au sol, ils ressemblent à des formations rocheuses, sont engloutis par la montagne qui n’a que faire des appels au secours d’un mari aimant et futur père de famille. Dès lors, le film délaisse l’action pour interroger la notion de foi : quelle croyance poussent ces hommes et ces femmes à risquer leur vie pour toucher du doigt le sommet du monde ? À leur demander, ce n’est pas plus clair, tout s’embrouille. Ce que l’on retient, c’est l’envie de quitter le monde, de s’affranchir d’une société dans laquelle ils ne se retrouvent pas ; la violence que leur inflige la montagne se transforme alors en puissance cathartique destinée à creuser leurs failles, à ouvrir des gouffres dans leur identité afin de renaître. Le blanc des espaces arpentés traduit la fontaine de pureté que symbolise l’Everest : on vient s’y ressourcer en y laissant sa famille, en acceptant son égoïsme et aussitôt sa profonde solitude existentielle. Pourtant, ce lieu de renaissance à soi devient un espace de raccord au réel : les idées se clarifient, les êtres aimés reprennent la place qui leur est dû. Il est parfois trop tard, mais qu’importe. Le film traite d’une passion individuelle perçue comme don et deuil de soi, comme renaissance. Ceux qui en reviennent en vie ne sont plus les mêmes, ils rapportent avec eux non pas tant une photographie de leur exploit qu’une âme neuve et retaillée pour accueillir en elle tout l’amour dont ils furent privés là-haut. Everest s’entoure d’une galerie d’acteurs célèbres pour mieux la disloquer, l’égrainer au fil des coups du sort, la mêler aux autres, aux visages inconnus. L’anonymat est le maître mot de l’ascension, la médaille qui vient en récompenser l’exploit. Une œuvre éprouvante et impressionnante, aussi pénible et périlleuse que l’agonie des alpinistes à l’écran.