Quand en 1959, il tourne « Un baquet de sang », Roger Corman, réalisateur/producteur depuis cinq ans, a déjà 22 longs métrages à son actif, travaillant à la vitesse de l’éclair comme l’a bien compris American International Pictures qui lui demande de tourner son film en cinq jours et pour 50.000 dollars. « Un baquet de sang » sera certes un succès modeste mais rapportera près de quatre fois sa mise de fonds, selon un système économique auquel Roger Corman restera fidèle tout au long de sa longue carrière y compris comme producteur, mettant le pied à l’étrier à des jeunes réalisateurs comme Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Peter Bogdanovitch, Joe Dante, Jonathan Demme ou encore Monte Hellman qui peuvent se faire la main sans trop de pression sur les épaules. La société de production fondée en 1954 par Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, spécialisée dans les films de genre à petits budgets, a pu juger de l’efficacité de Corman an un an plus tôt avec « Mitraillette Kelly ». Roger Corman qui travaille pour la première fois avec Charles B. Griffith au scénario se lance dans le film d’épouvante sarcastique avant de lancer un an plus tard son fameux cycle consacré à Edgar Poe (huit films au total) pour lequel il entamera une fructueuse collaboration avec Vincent Price. L’intrigue vaguement inspirée de « L’homme au masque cire » d’André de Toth (1953), lui-même remake d’un film de Michael Curtiz sorti en 1933, sert de cadre à Corman pour brocarder gentiment le mouvement hippie alors en vogue sur la côté Ouest suite aux écrits de Jack Kerouac, Williams Burroughs et Allan Grinsberg. A « La Porte Jaune », café littéraire où des artistes bohèmes en quête de reconnaissance se rejoignent pour se livrer à des performances où chacun tente de surenchérir sur les élucubrations de l’autre, travaille comme serveur, Walter Paisley (Dick Morris), jeune homme plutôt timide mais aussi un peu naïf qui sert de défouloir aux plaisanteries des clients. Mais en secret, Walter aussi est un artiste qui travaille la sculpture dans son minuscule appartement. Un soir entendant miauler le chat de la voisine coincé dans un mur de sa cuisine (déjà Edgar Poe ?), il tue accidentellement l’animal. Lui vient alors l’idée de recouvrir le chat d’argile pour en faire une sculpture plus vraie que nature. De retour au café où il montre son œuvre, le succès est immédiat. Enfin admis dans cénacle des artistes et désireux de connaître à nouveau son quart d’heure de gloire, Walter met le doigt dans un engrenage fatal. L’intrigue est d’une banalité assez confondante et elle n’aurait guère d’intérêt si elle n’était pas teintée d’un humour corrosif qui on l’a dit moque un avant-gardisme mondain qui a fini par dénaturer la notion même d’art, attribuant des réputations hors de prix à des artistes qui pour beaucoup n’ont plus besoin d’en passer par les fastidieux et surtout très sélectifs fondamentaux de la matière artistique. Pour bien marquer la tonalité parodique de son propos, Roger Corman a affublé le patron du café (Anthony Carbone) du célèbre béret porté sur le côté par Groucho Marx qui a l’époque occupe les plateaux de télévision où il débite à flot continu son humour nonsensique. Ce n’est certes pas du grand art mais en cinq jours, l’effort est tout de même très méritoire.