Il y en aurait des choses à dire, sur ce que Hacker laisse supposer des intentions de Michael Mann et de la place qu'il occupe au sein du cinéma d'action. Voir un tel pionnier de l'utilisation du numérique s'emparer d'un scénario sur la cyber-criminalité n'a sans doute rien d'anodin. Mais à quoi bon, puisqu'au final, tout n'en revient comme toujours qu'à certaines données essentielles du geste mannien, que je résumerai (un peu vite, c'est vrai) à la lutte acharnée et puissamment existentielle d'un homme avec un monde matriciel, sur laquelle se concentre petit à petit ce scénario pourtant a priori consacré à des enjeux globaux. Ces obsessions, certains critiques les ont trouvées placardées de force sur un récit qui n'est pas digne d'en être un réel écrin, comme un aveu désolé de la part d'un réalisateur condamné à toujours reproduire le même schéma, quitte à la dévitaliser. Mais sur moi, pourtant, tout a comme toujours fonctionné, avec une puissance inégalable. Il est vrai qu'on peut s'étonner d'en arriver à un tel effet avec un scénario si influencé par les clichés américains du genre. Mais heureusement d'abord, Hacker sait y intégrer une touche hong-kongaise qui l'aide beaucoup à trouver sa respiration. Et ensuite, la prévisibilité du genre, que Mann limite par une belle fluidité et surtout banalise par l'âme qu'il insuffle aux images, est une parfaite charpente pour le mouvement toujours au cœur de son cinéma. Et c'est encore de cette façon que Michael Mann me fascine, dans ce tiraillement incessant entre le récit et des instants de stase où la nuit prend corps, ses héros ne semblant plus appartenir ni à l'un ni à l'autre. Même dans le moindre champ/contre-champ, la caméra s'agite dans des mouvements presque imperceptibles mais qui lui donnent une consistance organique qui élève ce cinéma à un degré de vitalité qui confine à l'urgence. Les plans urbains sont toujours si prégnants, constellations oniriques venues des métropoles humaines. A leur instar, Hacker est un défilé d'images qui tend à l'impressionnisme, mais où les corps sont pourtant plus réels que chez n'importe quel autre réalisateur. D'ailleurs, a t-on récemment vu plus sensuel que ces quelques plans volés sur les corps des deux personnages principaux, sans insistance vulgaire, sans exagération superflue ? Tout ça avec des comédiens moins brillants qu'à l'accoutumée, même s'ils demeurent honnêtes. Bref, Michael Mann est un génie de l'image, et son Hacker, même avec une écriture élaguée de grandes constructions sémantiques et concentrée sur un récit parfois un peu cliché, porte en lui un vrai quelque chose de plus. Dans son rapport au Monde, ses motifs picturaux, l'ardeur de ses récits, c'est finalement une vision que l'américain a construit. Celle d'une nuit plus brûlante que les jours, celle de cités qui éclipsent les étoiles. Dans Hacker, le cœur de Michael Mann bat plus fort que jamais. Et c'est presque avec recueillement que j'écoute son fracas, dans le geste d'une sensibilité qui en rencontre une autre. Puissant et inévitablement onirique.