Au sortir du cuisant échec que fût Sabotage, film d’action, il faut le dire, presque pathétique, David Ayer s’attèle à un projet nettement plus consistant. Des polars contemporains biberonnés à la testostérone, le cinéaste passe au film de guerre historique, aux côtés d’un équipage de char Sherman durant la deuxième Guerre Mondiale. A l’aurore du conflit, les troupes alliées pénètrent dans un ultime et terrible effort l’Allemagne, pays maintenant dévasté ou la résistance des derniers bataillons SS ne cessent de mettre à mal des troupes américaines amoindries en matériel et en ressources humaines. Ayant débuté des années plus tôt cette terrible guerre, l’équipage du Fury roule vers Berlin, seul véritable rempart contre la guérilla allemande, seul espoir des troupes de l’infanterie de pouvoir rivaliser avec la puissance de feu des acharnés d’en face. Aux commandes de ce blindé, un sergent charismatique. A ses côtés, un mécanicien chargeur bourru, un pilote hispanique, un tireur mystique et un jeune mitrailleur remplacent.
La guerre est odieuse, en cela, David Ayer ne nous apprend rien. Le réalisateur ne nous fait pas non plus l’honneur d’une livraison d’un film de haute crédibilité, Fury étant en bien des occasions un film d’action situé dans la guerre qu’un véritable film de guerre. Pour autant, en dépit des incohérences, de l’héroïsme improbable des soldats de chars, le postulat, au sortir du visionnage, est qu’Ayer est finalement parvenu à faire de son film un drôle compte-rendu sur les efforts déployés par tous ses soldats, sacrifiés, comme on aime à la dire, sur l’autel de la liberté. C’est donc avec une tristesse étonnante que l’on assiste à un final logique mais glaçant. Oui, autant Fury manque de réalisme, autant le film parvient à rendre les émotions authentiques, notamment grâce au charisme de Brad Pitt, l’argument numéro un du long métrage. L’acteur bouffe une fois de plus l’écran dans la peau du héros ténébreux, du père de tous ces soldats terrifiés. Un personnage dur, parfois effrayant d’obstination, mais véritable phare dans cette guerre qui s’éternise.
Notons qu’accessoirement, les prestations de Michael Pena, de Jon Bernthal ou encore de Shia Labeouf sont convaincantes. Finalement, le jeune Logan Lerman s’en tire avec les honneurs, dans le costume du traditionnel bleu, du jeune premier qui découvre l’horreur aux côtés d’individus ayant déjà tout vu et tout connu. Coté mise en scène, David Ayer démontre qu’il peut être un artisan complet lorsqu’il s’agit d’inclure de grosses séquences d’action. Si jamais Fury ne pourra rivaliser avec les modèles du genre guerrier, Il faut sauver le soldat Ryan en tête, en termes d’intensité, le metteur en scène parvient quoiqu’il en soit à livrer quelques belles séquences fortes, dans le bruit, la poussière et le sang. On pourrait éventuellement lui reprocher quelques CGI plutôt grossier ou encore une mise en valeur trop appuyées des balles traçantes, histoire de lisibilité des scènes de batailles, mais le tout est efficace, notamment lors de cette confrontation entre le Sherman et le Panzer Tigre embusqué.
Film de guerre, certes, mais la prétention d’Ayer étant pour surtout de livrer un film de chars, à l’intérieur des chars, avec des combattants aguerris à la guerre des blindés. On apprécie dès lors cet esprit d’équipe qui prédomine, un peu le même que lorsqu’un film s’intéresse à l’équipage d’un sous-marin. Malgré des faiblesses, malgré des séquences coupant maladroitement le rythme, le cinéaste américain nous fait l’offrande d’un divertissement honorable, d’une certaine manière plus audacieux. Les plus-values qui sont notamment Brad Pitt, une reconstitution minutieuse du conflit, une photographie léchée, font dès lors presque oublié les petits errements qui jalonnent le film. Un bon divertissement en somme, un film relativement solide et pleinement assumé. On en voit pas tous les jours, c’est déjà un bon début. 14/20