Fury égale à mon sens "Il faut sauver le soldat Ryan" en terme de réalisme cru. Il en diffère en ce sens que le point de vue nous est livré par le petit bout d'une lorgnette de tankiste, sans les mémorables plans larges de la première scène du Spielberg, dans laquelle les soldats débarquant sur la plage étaient passés au hachoir. Ayer, plus encore que Spielberg peut-être, dresse un constat sans concession sur l'horreur générée par l'homme, espèce nuisible s'il en est . Ici la violence est vécue de l'intérieur d'un char Shermann, mais elle n'en est pas moins spectaculaire. Le budget a dû atteindre des sommets au vu du nombre de figurants, du travail des artificiers, des bruiteurs, des décors urbains ou ruraux et des tanks, des effets spéciaux sur les morceaux de barbaque emportés-pulvérisés ou sur les chars malmenés jusqu'à l'hallali, dans des scènes d'action très percutantes qui m'ont collé à mon siège. Le rythme haletant est tempéré par les tentatives des hommes pour se raccrocher à une improbable humanité, par exemple dans un appartement investi à l'occasion de l'entrée dans une ville conquise. Dans une sorte d'intermède initiatique façon "restons des hommes", le jeune "Machine"(Logan Lerman, assez juste), qui a gagné timidement sa place de mitrailleur, cornaqué par son sergent (l'inflexible Don/Brad Pitt), noue une relation bâclée et éphémère mais sincère et intense avec une jeune allemande. Cet intermède fait suite à un baptême en bestialité donné par le même sergent, qui l'a forcé un peu plus tôt à abattre un prisonnier. Il a toute sa place pour évoquer le degré d'humanité que chacun des tankistes s'efforce de conserver ou se résigne à avoir perdu. D.Ayer évite de justesse le manichéisme, avec cette séquence notamment...
Jusqu'à la dernière scène le film tient la route et nous tient en haleine, en même temps que les personnages de ce quasi huis-clos prennent de l'épaisseur et deviennent attachants, malgré leur part d'ombre (mais qui n'en aurait pas, à vivre et produire l'horreur au quotidien si longtemps...). La guerre nous est montrée comme une absurde horreur, succession sans queue ni tête d'actions extrêmes, ponctuelles, décousues, rarement pourvues d'une logique planifiée autrement qu'au coup par coup. La crasse, la boue, le sang, les gravats, la fureur et l'immondice ne nous sont pas épargnés, même si la photo dramatise tout ça habilement, parfois presque jusqu'à l'esthétisme (presque, car le réalisme l'emporte dans l'ensemble) ... Reste cette dernière scène, sorte de baroud d'honneur suicide qui met un peu à terre tout l'édifice du film, jusque là cohérent et pour moi très crédible. Le point d'orgue est raté. La fin théâtralisée du sergent Don dans son char (son "chez-moi" comme il dit) est un fiasco sur le plan de la véracité : il met vraiment trop longtemps à perdre ses moyens malgré les trois bastos qu'un sniper lui a collées dans le buffet, et l'explosion DANS le char de deux grenades allemandes ne le transforme aucunement en hachis pour canigou, comme on pourrait s'y attendre puisqu'il était affalé à l'intérieur de l'habitacle au moment de celle-ci...Cette scène n'est pas crédible, point final, elle manque son but et c'est dommage de terminer là-dessus. Mes trois étoiles sont donc pour les trois premiers quarts de ce film qui démarre sur les chapeaux de roues (ou de chenilles) mais se termine de manière trop convenue, flirtant de trop près avec l'invraisemblance.