Le réalisateur David Ayer (Bad Times, Au bout de la nuit, End of Watch), plus connu pour avoir livré le scénario de l’excellent Training Day, commençait mal l’année 2014. Et pour cause, en mars (sortie américaine), il offrait au public Sabotage, une sorte d’Expendables du pauvre avec Schwarzenegger à la qualité plus que discutable. Heureusement pour lui, il corrigea le tir – et pas qu’un peu ! – avec Fury, un film de guerre. Mais attention, pas ce genre de long-métrage ayant voulu surfer sur le succès déjà lointain d’Il faut sauver le soldat Ryan en se voulant violent, spectaculaire et proposant un panel de célébrités hollywoodiennes au point de faire exploser le budget de base. Bien que sur le papier Fury soit de cette trempe-là, il n’en est rien, pour notre plus grand étonnement !
En effet, avec tous les films sortis ces dernières années, nous nous attendions forcément à un objet filmique qui reparle une nouvelle fois de Seconde Guerre mondiale (quand ce n’est pas le Viêt-Nam qui est sur le devant de la scène), le tout avec du patriotisme à outrance et de la violence purement gratuite juste pour en mettre plein les yeux et dire « la guerre, c’est moche ». Fury évite tout cela en un clin d’œil ! D’une part parce qu’il pointe du doigt une période peu évoquée de la Seconde Guerre mondiale dans le cinéma (américain, qui plus est !), à savoir l’arrivée des forces Alliées en Allemagne. Dressant pour le coup un tout nouveau portrait des Allemands, non plus vus comme des « méchants nazis » mais plutôt de la manière la plus humaine qui soit : tels de simples soldats menant une guerre comme les autres ou encore de pauvres dommages collatéraux devant faire face à la misère, à l’horreur et les conséquences du conflit. Bref, à de véritables victimes qui n’avaient rien demandé et qui ont dû endurer la folie de leur abominable leader. Ce qui amène à l’autre atout de Fury : la façon dont il dépeint les Américains. Ici, ils ne sont pas les héros mais des humains devenant de véritables monstres de par leurs actions et leurs vécus.
Même si le long-métrage nous gratifie tout de même de quelques envolées d’action (
le face-à-face avec le Tigre allemand, par exemple
) rondement menées et mises en scènes avec savoir-faire, il parvient à nous raconter cela juste en se basant sur les membres d’équipage d’un tank. En suivant leur parcours, leurs déboires et leur évolution au fil de leur périple, Fury nous balance en pleine figure l’horreur de la guerre. Non pas de manière visuelle (et donc purement gratuite) mais bien morale, proposant au spectateur des personnages superbement écrits, des répliques assez cinglantes et des scènes incroyablement tendues (
comme celle du « séjour » dans l’appartement des deux Allemandes
). Pas besoin de sang à gogo, de mecs désarticulés ou encore d’explosions à tout-va. Juste ce qu’il faut dans le scénario et dans le savoir-faire certain de David Ayer pour rendre le tout intéressant et percutant au possible.
Un excellent casting est également de mise ! Ce dernier est, bien évidemment, mené d’une main de maître par Brad Pitt, impérial comme à son habitude. Mais il faut bien avouer que le reste de la distribution surprend grandement. Même si Michael Peña n’a déjà plus grand-chose à prouver (il s’était démarqué dans d’autres seconds rôles) et que Shia LaBeouf, malgré ses nombreux « délires personnels » et son passé cinématographique (la trilogie Transformers, Pananoïak, Indiana Jones 4…), montre qu’il a du talent, leurs autres compères parviennent à se mettre en valeur comme il faut. Un constat qui s’adresse avant tout à Logan Lerman, bien loin de la gaminerie « Percy Jackson » qui l’a fait connaître et qui sait se montrer juste dans son jeu ; ainsi qu’à Jon Bernthal (le Punisher de la série TV Daredevil), véritable révélation ! À eux cinq, ils forment une escouade hautement crédible, représentative de tout ce qui a été dit sur les ambitions scénaristiques de Fury et plaisante à voir évoluer.
Pourtant, si tout semblait parfait pour être un digne successeur au chef-d’œuvre de Steven Spielberg, une ombre vient ternir tout cela. Et pas qu’un peu, malheureusement ! Pour cela, il faut savoir que Fury est basé sur un fait réel. Celui d’une escouade américaine qui, à bord de son tank, a dû faire face à tout un bataillon de soldats Allemands. Alors, quand le film en vient à ce passage,
à savoir lors de sa dernière demi-heure
, il sombre étrangement dans ce qu’il avait su éviter jusque-là : le divertissement hollywoodien. Même si le savoir-faire de David Ayer et les effets spéciaux sont toujours d’aussi bonne qualité, le ton du long-métrage en prend un certain coup, dérivant dans le patriotisme de bas étage (les notions de sacrifice, de gloire et d’héroïsme font surface), le tout en musique symphonique et « n’abîmant » que trop rarement ses célébrités. Pour ce dernier cas, prenons un exemple : sans révéler le nom de l’acteur concerné,
son personnage meurt après l’explosion d’une grenade juste à côté de lui ; son corps est resté quasi intact malgré cela
. Ce qui pointe pour le coup des défauts techniques assez majeurs qui gâchent toute immersion du spectateur dans le film, comme des explosions et rafales qui ne se font plus entendre pendant une conversation alors qu’elles ne s’arrêtent jamais. En somme, une dernière partie qui vient tout gâcher et enlever l’excellente impression sans faute que nous avions de Fury. Dommage…
Qu’à cela ne tienne, nous sommes tout de même loin des produits hollywoodiens tels que Windtalkers ou encore Nous étions soldats. Sans compter Pearl Harbor ! Et pour cause, malgré son erreur finale, nous nous rapprochons bien plus d’un Mémoires de nos pères et d’Il faut sauver le soldat Ryan grâce au parti pris de ne s’intéresser qu’à ses personnages pour parler de la guerre de la manière la plus violente et réaliste qui soit, sans jamais tomber dans la gratuité la plus vulgaire. De quoi redorer la filmographie de David Ayer, qui s’apprête à booster sa carrière en cette année 2016 avec son très attendu Suicide Squad. Nous pouvons d’ores et déjà la le dire : Fury est le long-métrage qui a su offrir la reconnaissance du métier et du public à son réalisateur.